
Le gouverneur de la Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC), par ailleurs président de la Commission bancaire de l’Afrique centrale (Cobac), et le directeur général de la Caisse des dépôts et consignations du Cameroun (CDEC) ne sont pas sur la même longueur d’onde, au sujet de la supervision des activités des caisses de dépôts et consignations (CDC) dans la zone Cemac (Cameroun, Congo, Gabon, Guinée équatoriale, Tchad et RCA). En effet, au sortir de la 2ᵉ réunion du groupe de travail chargé de formuler des propositions consensuelles pour la supervision des activités des CDC et la gestion des avoirs en déshérence dans la Cemac, tenue le 12 janvier 2025 à Yaoundé, les deux responsables ont commis des communiqués dont le contenu révèle la persistance d’un désaccord plutôt profond.
Concrètement, alors que le Centrafricain Yvon Sana Bangui se réjouit de l’approbation, au cours des travaux, de « propositions pertinentes» « qui seront intégrées » dans les avant-projets de textes réglementaires élaborés par le secrétariat général de la Commission bancaire de l’Afrique centrale (Cobac), et relatifs à la supervision des activités des CDC ; le Camerounais Richard Evina Obam (photo), constant sur sa posture depuis des mois, dit ouvertement l’opposition de la CDEC à la mise en œuvre d’une pareille réglementation. « Au terme d’échanges contradictoires, et nous inspirant de la comparaison internationale, la proposition formulée par la CDEC est le retrait de cet avant avant-projet de règlement, et de restreindre les interventions de la Cobac aux seules opérations bancaires résiduelles qui pourraient être réalisées par les Caisses des dépôts et consignations, lorsque celles-ci n’ont pas créé des filiales à cet effet », écrit le DG de la CDEC dans son communiqué publié le 17 février 2025, soit cinq jours après la sortie du président de la Cobac.
En effet, pour Richard Evina Obam, qui dit s’appuyer sur des « arguments juridiques pertinents issus du droit communautaire Cemac, du droit national et du droit comparé (UE et UMOA), (…) les dépôts et consignations ne font pas partie des matières transférées à la communauté, et restent de ce fait une activité souveraine régie par les dispositions du droit national en vigueur, lesquelles prévoient les conditions d’exercice ainsi que les instances de contrôle. De plus, les dépôts et consignations reçus par la CDEC dans le cadre de ses missions d’intérêt général ne peuvent pas être considérés comme des opérations de banque, car n’étant pas reçus du public, mais ordonnés par les lois et règlements, ainsi que des décisions administratives et judiciaires».
Et le DG de la CDEC de poursuivre : « par ailleurs, les fonds et valeurs maniés par la CDEC sont des deniers publics, ce qui confère à cette entité le statut de comptable public, conformément à la directive Cemac n°02/11-UEAC-190-CM-22 du 19 décembre 2011 relative au règlement général de la comptabilité publique. En conséquence, la CDEC est exclue du champ de compétence de la Commission bancaire, en application des dispositions de l’article 11 de l’annexe à la convention du 17 janvier 1992 portant sur l’harmonisation de la réglementation bancaire dans les Etats de l’Afrique centrale. Ainsi, la CDEC ne peut être soumise à aucune supervision du régulateur bancaire communautaire, comme c’est le cas dans toutes les zones économiques où ces institutions sont présentes ».
Instructions présidentielles
Cette posture de Richard Evina Obam est en droite ligne des actions récentes des autorités camerounaises, qui semblent déterminées à défendre la souveraineté du pays dans ce qui s’apparente à un bras de fer avec la Cobac. Suite aux tensions nées de l’injonction faite aux banques en activité au Cameroun, de transférer les avoirs en déshérence et des comptes inactifs vers la CDEC. Face aux plaintes des banquiers, la Cobac avait alors demandé, le 11 juillet 2024, la suspension temporaire desdits transferts, en raison de l’absence d’un cadre réglementaire communautaire clair. Cette demande provoquera une réaction vive des autorités camerounaises, partant de la CDEC à la présidence de la République.
En effet, nonobstant la requête de la Cobac, le 1er août 2024, le secrétaire général de la présidence de la République du Cameroun, Ferdinand Ngoh Ngoh, a transmis des instructions du président Paul Biya au ministre des Finances, Louis Paul Motaze, pour garantir la poursuite des transferts. De plus, malgré la mise en place, le 18 octobre 2024, du groupe de travail qui a tenu sa 2è réunion le 12 février 2025, en date du 25 novembre 2024, l’État camerounais réaffirmera sa volonté de poursuivre l’opérationnalisation de la CDEC par un arrêté ministériel précisant les modalités d’intervention de cet établissement public sur les marchés financiers, notamment en ce qui concerne les titres de créances et de capital.
Le 3 février 2025, la CDEC a lancé un appel public à candidatures pour la préqualification des cabinets devant réaliser des études, en vue de la création d’une filiale bancaire. Preuve qu’en dépit de l’ambition de la Cobac d’en faire un organisme sous sa supervision, le gouvernement camerounais, lui, voit en la CDEC un acteur institutionnel et financier majeur devant accompagner le développement économique du pays. En toute souveraineté.
Brice R. Mbodiam
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