C’est sur un plateau télévisé de dimanche, jour de vérité, que Abel Elimbi Lobé, jamais loin de sa Bible, a dit sa « messe » en toute liberté. D’ailleurs, comment pouvait-il en être autrement, puisqu’il prenait part ce jour-là, à un débat de l’émission « Libre Expression » sur Info Tv. Dans ses envolées de rhéteur, l’ancien conseiller SDF de la Mairie de Douala 5eme a laissé entendre que « lorsqu’on arrête Ernest Ouandié qui était un bandit, un grand bandit, il ne faisait pas de la politique. Le Cameroun était déjà indépendant ». Dans la foulée, le militant politique aurait par la suite enfoncé le clou : « La France n’a commis aucun génocide au Cameroun. Il n’y a eu aucun génocide des Bamiléké. Ernest Ouandié est un bandit qui a volé les terres dans le Moungo ».
En tenant ces propos, il n’avait jamais su qu’il mettait là en éruption, un volcan de type explosif ou vulcanien. Et, avant même la fin de cette émission, ce 23 février 2025, la toile était déjà en feu. La polémique enflait minute après minute. L’opposant politique qui ne jure que par la Bible en reçoit depuis ce jour, de partout. Entre injures, réprimandes, menaces de poursuites judiciaires et même d’atteinte à son intégrité physique, le panéliste d’Info tv se trouve criblé de partout. L’une des éruptions de ce volcan, les plus violentes serait alors, l’agression physique mercredi 25 février, et dont aurait été victime l’épouse de cet homme politique, dans son lieu de travail à Douala, au quartier Makepe. Si l’identité des ravisseurs reste pour le moment inconnue, Elimbi Lobe lui-même semble lier cet incident à ses propos controversés. C’est pourquoi, en annonçant l’agression subie par sa femme, il choisit la forme d’une alerte lancée à la communauté Sawa, dont il est originaire. « Alerte Dikalo Dikalo ! Mon épouse vient d’être agressée et les ravisseurs promettent de passer chez moi. Alerte aux Sawa », a lancé l’homme politique sur sa page Facebook.
Déchirure
Mais autour de cette affaire, le journaliste camerounais Venant Mboua actuellement au Canada fait observer l’arborescence des profils qui s’y intéressent. Hors mis les réactions des militant de l’UPC, il distingue « ceux qui défendent Elimbi Lobe ou qui relativise ses propos », et « ceux qui sont virulents en vers lui ». Dans le premier panier, le journaliste met entre autres « les extrémistes ou les manipulés Sawa », « leurs homologues bassa qui ont pour seul combat politique la lutte contre le Bamiléké», « les Betis qui trouvent là l’occasion de stigmatiser leurs seuls concurrents (les Bamileke) dans le contrôle du pouvoir pour le compte de l’ethnie, depuis que les Peulhs et les Kirdi du Grand nord ont choisi de rallier Biya », « les opportunistes pouvoiristes qui se donnent une occasion de diaboliser l’entreprise politique du Bamileke Kamto, présenté comme le candidat de sa tribu pour le contrôle de la mangeoire ». Dans le second panier, Venant Mboua range « les Bamilékés qui pensent que Ouandié est d’abord Bamileke avant d’être Camerounais » et « les militants politiques de l’opposition qui ont toujours pensé- et je leur donne raison- que cet Elimby Lobè est un agent du système réactionnaire biyaiste ». Mais avant d’aller plus loin, faisons parler l’histoire.
Ouandié : mi-figue, mi-raisin ?
Il y a 54 ans, le leader historique de l’Union des populations du Cameroun (UPC) était fusillé sur la place publique à Bafoussam. Le régime d’Ahmadou Ahidjo, au pouvoir depuis l’accession du pays à l’indépendance, venait ainsi à bout du dernier grand combattant de la résistance camerounaise après la disparition de Ruben Um Nyobe et Félix Roland Moumié. Mais pour les générations actuelles, la mémoire de ce combattant est restée assez diffuse, avec des « puristes » qui ont fait cohabiter la supposée idée d’un personnage « bandit » avec celle « leader nationaliste ». L’on croyait que cette anomalie devrait être corrigée par les recherches d’une commission franco-camerounaise mise en place en 2022 afin de mettre la lumière sur le rôle de la France dans la guerre de décolonisation de ce pays d’Afrique centrale, que non ! Dirigée par l’historienne française Karine Ramondy, cette commission composée d’une équipe de chercheurs composée de sept Camerounais et de sept Français, a, dans son rapport rendu le 21 janvier à Emmanuel Macron, puis le 28 janvier au président camerounais, Paul Biya, à Yaoundé, appris qu’« il n’y a pas eu de génocide au Cameroun ». Mais de ces recherches, il ressort également que « dès après la seconde guerre mondiale, la France a réprimé politiquement, militairement, diplomatiquement, judiciairement le mouvement indépendantiste, en particulier les militants de l’Union des populations du Cameroun (UPC) », affirme Karine Ramondy dans une interview accordée à Le Monde. C’est donc contre cette répression, que luttaient les militants de l’UPC.
« Ernest Ouandié n’était pas un bandit ».
Interrogée à la suite des déclarations de Elimbi Lobé, l’historienne et chercheuse Alvine Henry Assembe Ndi, ayant contribué au rapport BIYA-MACRON va droit au but : « Ernest Ouandié n’était pas un bandit. Nous n’avons trouvé aucune archive le reliant à des actes de banditisme. Au contraire, il avait créé un tribunal sous maquis. Personnellement, j’admire son courage. » Si l’on considère le rapport Ramondy comme la trouvaille issue de la plus grande recherche jamais réalisée sur le passé colonial du Cameroun, il est difficile de ne pas croire, au moins, en la scientificité de ses vérités. Fort de cela, il serait à retenir que « Ernest Ouandié est un héros, et pas un bandit », pour reprendre la formule de l’artiste Kareyce Fotso. Mais plus objectivement, il faut reconnaitre que l’histoire est toujours ambiguë parce qu’elle n’a pas qu’une seule vérité. Ce qui est « héroïque » pour certain peut être « douloureux » pour d’autres. En France par exemple, Louis XIV est vu comme « un grand roi ». Mais son rôle dans l’esclavage fait de lui « un monstre » pour d’autres. En Afrique du Sud, Nelson Mandela est un héros pour les anti-apartheid, mais certains Blancs le critiquent fort bien. De même, Jésus est un personnage sacré et même sacralisé pour les chrétiens, mais « un rebelle », un « magicien », un « imposteur » pour d’autres cultures.
Au Cameroun, Ernest Ouandié est célébré comme un héros de l’indépendance. Mais il est critiqué par les population du Moungo. Durant les luttes coloniales, les membres de l’UPC sont ici accusés d’avoir des violences, avec entre autres vols de terres et assassinats en séries, contre les populations locales. Pour les victimes et leurs descendants, le glorifier revient à oublier ces souffrances. Dans cet ordre idée, exprimer cette douleur n’est donc pas un crime, mais un droit. Dans une approche moins nombriliste, Abel Elimbi Lobé, originaire du département du Moungo, rappelle le devoir de l’histoire, d’écouter toutes les voix, pas seulement celles vainqueurs pour une société plus juste et plus apaisée.
Par ailleurs, si par extraordinaire, il est admis que Ouandié fait l’unanimité dans sous sa casquette de « héros national », c’est-à-dire, héros de tous les Camerounais, comment comprendre ce tintamarre qui secoue la toile ? Plus clairement, de quoi accuse-t-on Elimbi Lobé ? Si « héros national » et non « bandit » est Ernest Ouandié, comment expliquer que les flèches les plus pointues et empoisonnées sur cet ancien militant du SDF partent, toutes ou presque, d’une région bien identifiée ? Comment un débat qui touche un héros national peut-il basculer si simplement en une affaire qui touche un ressortissant ? Au vu de l’énergie, du choix des mots employés, serait-il osé de savoir si ce n’est pas plutôt Elimbi qui est ici victime de tribalisme ?
Par Franck Olivier BIYA, Journaliste