Dans une récente sortie, le cinéaste Jean-Pierre Bekolo dénonce la prévalence de la violence au Cameroun qui se manifeste sous diverses formes. Il déplore cependant que « le Camerounais puisse subir la souffrance sans avoir le droit de l’exprimer. Toute tentative de protestation est systématiquement réprimée. »
Lebledparle.com vous présente ci-dessous l’analyse de Jean-Pierre Bekolo :
« VOUS AVEZ DIT VIOLENCE ?
Oui, le Cameroun est un pays violent.
Il y a la violence économique, avec la hausse incontrôlée des prix sur les marchés, l’inflation galopante qui étrangle les ménages, le chômage structurel qui condamne une grande partie de la jeunesse à l’oisiveté et au désespoir.
Il y a la violence sociale, avec la précarité généralisée, l’absence de services de base, le manque de logements décents, l’insécurité grandissante dans les quartiers.
Il y a la violence infrastructurelle, avec des routes en ruine qui transforment chaque déplacement en un risque de mort, des hôpitaux délabrés où l’on meurt faute de soins, des écoles où les enfants apprennent dans des conditions indignes.
Il y a la violence des catastrophes, avec des éboulements meurtriers, des inondations dévastatrices, des accidents de circulation récurrents, conséquences directes d’un État qui ne protège pas sa population.
Et il y a même la violence de l’indifférence, cette absence totale de réaction face à toutes ces violences, qui ne sont ni prises en compte ni combattues par qui que ce soit.
Si l’on parle de la violence au Cameroun, il faut en saisir toute l’ampleur : elle est omniprésente, diffuse, et s’exerce à tous les niveaux de la société. Dans les familles, à l’école, dans les villages, les quartiers, sur les routes… Elle est verbale, visuelle, comportementale.
Mais il y a une règle tacite : toute cette violence est permise, tolérée, organisée et même encouragée lorsqu’elle frappe les citoyens ordinaires.
Dès qu’en réaction, elle s’exprime contre ceux qui détiennent le pouvoir – contre les dirigeants politiques, contre les structures administratives, économiques et sécuritaires qui fonctionnent au service d’une minorité et au détriment du plus grand nombre –, alors la règle change.
Lorsqu’elle interpelle : L’État, qui abandonne des pans entiers de la société à la misère et au chaos, L’administration, qui multiplie les lenteurs, la corruption et l’arbitraire, Les forces de l’ordre, qui répriment les citoyens dès qu’ils osent réclamer un droit fondamental…
Alors, soudain, cette violence devient inacceptable. Elle est dénoncée, criminalisée, réprimée.
La véritable interdiction, c’est celle de crier sa douleur.
Le Camerounais peut souffrir, il peut subir, mais il n’a pas le droit de se plaindre. Toute tentative de protestation est immédiatement étouffée.
On peut endurer la vie chère, les coupures d’électricité, le manque d’eau potable. On peut survivre sans soins médicaux, sans routes praticables, sans perspectives d’avenir. Mais lever la voix contre ceux qui gouvernent ? C’est interdit. Les médias sont muselés, les manifestations interdites, les protestations sévèrement sanctionnées.
Le pouvoir ne craint pas la violence subie par les citoyens. Ce qu’il craint, c’est que ces citoyens prennent conscience de leur condition et osent revendiquer leur dignité. Voilà pourquoi la seule violence qui n’est pas tolérée, c’est celle qui vise à défier l’ordre établi.
Alors, si l’on veut parler de la violence au Cameroun, il faut parler de cette asymétrie : un pays où la souffrance est institutionnalisée, mais où le droit de la dénoncer est confisqué. Un pays où l’injustice est la norme, mais où réclamer moins de violence est un crime.
Jean-Pierre Bekolo »