
Il aura fallu la lettre ouverte du 21 avril 2025 de l’ingénieur financier Babissakana, envoyée au président de la République et plaidant pour une réforme technologique en profondeur des institutions financières publiques, pour que le ministère des Finances (Minfi) romp enfin le silence. Jusque-là muet sur le rapport accablant de la Chambre des comptes relatif à l’exécution du budget de l’État en 2023, le ministère réagit par une mise au point datée du 23 avril.
Pour mémoire, dans ce rapport rendu public en décembre 2024, la juridiction financière conclut que « en raison de l’importance des questions décrites dans la section ‘’Fondement de l’opinion défavorable’’ de son rapport, les états financiers (du ministère des Finances sur le budget de l’État) ne sont, dans tous leurs aspects significatifs, ni réguliers, ni sincères, et ne donnent en conséquence pas une image fidèle du patrimoine et de la situation financière de l’État, conformément aux règles et normes comptables de l’État ».
Ce rappel au sommet de l’État semble avoir été le déclencheur. L’ordonnateur principal du budget de l’État, jusque-là resté muet sur le sujet, a chargé son service de communication de livrer une lecture officielle. Le ministère tient à souligner que l’« avis réservé » de la Chambre des comptes de la Cour suprême « ne signifie nullement une accusation de fraude ou de dissimulation ». Et pour étayer cette position, il met en avant le processus de modernisation engagé depuis deux ans : le basculement vers une « comptabilité patrimoniale ».
« Cette réforme d’envergure vise à enregistrer dans les comptes de l’État tous ses actifs (bâtiments, terrains, véhicules, créances, logiciels, stocks, etc.), tous ses passifs (stock de la dette intérieure et extérieure, disponibilités des autres entités publiques…) et tous les engagements conditionnels pouvant impacter, à terme, le budget de l’État (les litiges pouvant aboutir à une condamnation probable de l’État devant les tribunaux, les avals, les garanties, les stocks de la dette salariale et des pensions, la dette flottante, les conventions de financement signées par l’État, etc.) », explique le Minfi sous la plume de Yves Assala.
Pour illustrer l’ampleur de cette transformation, le ministère cite le recensement en cours du patrimoine immobilier des départements du Wouri et du Mfoundi, ainsi que des régions du Sud et de l’Est. « Ce travail devra se poursuivre dans toutes les autres villes du pays et auprès des ambassades à l’étranger », précise-t-il.
Mais tant que cette « œuvre titanesque », entamée en 2022 et qui doit encore durer plusieurs années, ne sera pas bouclée, la Chambre des comptes « ne pourra que constater que les états financiers présentés ne donnent pas une image fidèle du patrimoine et de la situation financière de l’État ». Pour le ministère, il s’agit là d’un constat technique, et non d’un soupçon de malversation : « Cela ne traduit ni fraude ni dissimulation », insiste-t-il, en écho aux accusations qui enflamment régulièrement le débat public.
Conscient des critiques, le ministère des Finances réaffirme néanmoins sa volonté de mener cette réforme à son terme. « Ce qui permettra d’avoir une connaissance plus claire de la « richesse » de l’État et, par conséquent, de ses capacités à accéder à davantage de ressources auprès des différents bailleurs et partenaires au développement ».
Une sortie qui sonne comme une défense, mais qui n’efface pas les interrogations soulevées par la Chambre des comptes ni la pression de l’opinion publique exercée par des voix comme celle de Babissakana.
Ludovic Amara
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