
La Chambre des comptes de la Cour suprême envisage d’engager des poursuites pour faute de gestion contre d’anciens responsables du Projet de développement des chaînes de valeurs agricoles (PDCVA), notamment les membres de la première équipe ayant piloté l’initiative entre 2017 et 2020. Dans son rapport d’audit finalisé en novembre 2024 et rendu public en mars dernier, la juridiction financière dénonce un « recours abusif à la procédure de déblocage de fonds », portant sur un montant total de 300 millions de FCFA.
Cette somme aurait été remise à des billetteurs pour assurer le dédouanement de véhicules et d’équipements acquis entre 2017 et 2019. Pourtant, comme le rappelle la Chambre, le Code général des impôts prévoit que les biens importés dans le cadre de projets à financement conjoint bénéficient d’une exonération douanière par voie de compensation, fondée sur une attestation de prise en charge (APEC) délivrée par le ministère de l’Économie, de la Planification et de l’Aménagement du territoire. « Il apparaît qu’en s’écartant de la réglementation en la matière, l’équipe fiduciaire a favorisé un recours abusif à la procédure de déblocage de fonds ainsi que le maniement d’importantes sont d’argent en espèces », relèvent les auditeurs de la Chambre des comptes.
Plus grave encore, il est apparu que des billetteurs désignés, parmi lesquels des stagiaires, ont perçu une somme totale de 111 450 585 FCFA pour mettre en œuvre différentes activités du projet, mais lesdits fonds ont plutôt été mis à la disposition du responsable administratif et financier, aussitôt le décaissement effectué. Les billeteurs étaient ainsi amenés à signer des rapports financiers et comptes d’emploi pour des opérations qu’ils n’ont pas gérées. Pour la Chambre des comptes, « cette manœuvre suspecte jette un doute sur la réalité des dépenses effectuées et sur la fiabilité des comptes d’emploi et pièces y afférentes ».
Par ailleurs, des soupçons pèsent également sur les frais de missions engagées par l’ancienne Unité de coordination du projet, dirigée de 2016 à 2021 par Abakar Mahamat. Il est reproché à l’ancienne équipe fiduciaire d’avoir « systématiquement engagé les dépenses des missions en dépassement des taux fixés par une décision du ministère de l’Agriculture et du Développement rural encadrant le montant d’indemnités et d’avantages à verser au personnel du projet, sur la base d’une note de service irrégulière portant modification de la décision ministérielle ». Conséquence : « Il en a résultat un trop-perçu de 10,8 millions de FCFA sur l’échantillon de 50 millions de FCFA comptes retenus par la Chambre des comptes ».
Autre irrégularité dans les comptes de ce projet financé à hauteur de 75 milliards de FCFA par la Banque africaine de développement : le coût des travaux de rénovation et d’acquisition de mobilier et de matériel au profit des Centres d’incubation des jeunes agripreneurs (YABICs). « L’examen d’autres opérations des YABICs a révélé que les dépenses de rénovation ont été engagées à hauteur de 181,7 millions de FCFA, alors que la dotation prévue par la convention était de 51,7 millions de FCFA, soit un taux de dépassement de +251,1 %. De même, les dépenses d’appui institutionnel ont été engagées à hauteur de 172 millions de FCFA, alors que la dotation prévue par la convention était de 87 millions de FCFA, soit un taux de dépassement de +96,21 % », relève la Chambre.
Ainsi, la Chambre va poursuivre les responsables de la première équipe fiduciaire pour faute de gestion, notamment pour le paiement des indemnités au personnel du projet en violation de la décision du ministère de tutelle fixant les indemnités de carburant, de téléphone et les indemnités journalières de déplacement au profit du personnel dudit projet. Elle les poursuivra également pour le recours abusif à la procédure de billettage par l’Unité de coordination du projet, ayant donné lieu à des manipulations injustifiées de 300 millions de FCFA en espèces par les agents du projet.
Mais plus encore, la Chambre des comptes envisage également de saisir le procureur général près la Cour suprême pour « faute pénale à l’encontre de l’entreprise SOTRAC SA pour avoir perçu une avance de démarrage d’un montant net de 276 millions de FCFA depuis le 10 juillet 2019, sans avoir réalisé les travaux jusqu’à ce jour ». En clair, explique un responsable de la Chambre, le procureur général près la Cour suprême va saisir le ministre de la Justice au sujet de l’affaire SOTRAC SA. Il reviendra alors au Garde des Sceaux de saisir la juridiction compétente pour engager des poursuites judiciaires à l’encontre de cette entreprise. Le montant du préjudice dépassant les 50 millions de FCFA, c’est le Tribunal criminel spécial qui devrait instruire l’affaire SOTRAC SA.
Ludovic Amara
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