Depuis 2023, les romanciers, poètes, dramaturges, essayistes d’Afrique se retrouvent dans la capitale économique du Tchad pour construire l’avenir du livre. Cette année, les activités ont porté sur la contribution de la littérature à la reconstruction du Tchad.
L’ambiance est solennelle ce 26 avril au domicile de Maoundoé Naïndouba à Moundou, chef-lieu de la région du Logone Occidental dans le sud du Tchad. Un cercle s’est formé autour de la tombe de cette figure emblématique de la littérature nationale de ce pays d’Afrique centrale. Le pèlerinage organisé en son hommage est l’un des temps forts de la troisième édition du festival international L’Étudiant de Soweto. Les festivaliers sont venus du Cameroun, du Sénégal, des USA, du Canada et des quatre coins du pays pour y prendre part. Indifférents au soleil qui frappe férocement sur la ville en ce début d’après-midi, ils ont la mine attentive en écoutant Dieudonné Mbaïhiamel, le dynamique Président du comité d’organisation du festival introduire la cérémonie. En saison sèche, les températures peuvent aller de 28°C à 42° C ici. Mais pour le public du FLIES, le plus important est ce qui se passe sur le terrain. Avec spontanéité, l’écrivain Ndongo Mbaye, représentant prestige du Sénégal, pays invité d’honneur de cette édition sort un livre de sa poche et entame la lecture des passages significatifs reflétant la pensée et la vision humaniste de Maoundoé Naïndouba. A sa suite, Bergeline Domou, vice-présidente de la Société des amis de Mongo Beti (SAMBE) va faire un témoignage. L’ambiance va monter d’un cran quand de sa voix particulière, la sémillante chanteuse et directrice adjointe de la bibliothèque nationale du Tchad, Sobdibe Kimaye, va entonner un chant sous le regard ému d’Eric Naïndouba, fils aîné de l’illustre disparu.
Un fils du pays
A Moundou, Maoundoé Naïndouba est plus qu’un écrivain au regard des valeurs prônées dans sa pièce de théâtre » L’Etudiant de Soweto » et ses autres publications. L’ensemble de sa bibliographie riche de 5 livres, lui a permis d’avoir une forte influence dans son pays. La maison de la culture de la ville porte d’ailleurs son nom. «
Maondoé Naïndouba a rédigé sa pièce dans un contexte historique spécifique découlant de la forme la plus servile et cruelle du système d’exploitation de l’homme par l’homme et d’exclusion sociale qui se prénomme apartheid, c’est à dire un développement séparé au sein d’une même société, d’un même Etat sur des bases raciales. En mettant des points sur les i, Maoundoé Naïndouba s’est inspiré du massacre des jeunes étudiants et élèves de Soweto, une banlieue de Johannesburg pour dénoncer sans complaisance ni réticence l’avilissement de l’humanité voire sa déshumanisation », souligne Dieudonné Mbaiïhiamel. Le festival international L’Étudiant de Soweto a été mis sur pied en 2023 pour perpétuer son héritage. C’est un cadre de promotion d’un patrimoine culturel riche. Il a également pour objectif de promouvoir la lecture et l’écriture auprès de tous les publics et bénéficie de l’attention des autorités locales. Le 24 avril, la cérémonie d’ouverture a été présidée par le Secrétaire départemental représentant le délégué général du gouvernement auprès de la province du Logone Occidental, Mansour Abdoulaye Bichara. D’autres personnalités telles que le maire de la ville de Moundou, Djekaoussem Elon Bondo, le Président de l’Université de Moundou, le Pr Jérôme Mbainaibeye étaient également présents.
L’art pour le progrès
« Le FLIES est porté à bras le corps par le Collectif des écrivains et auteurs du Logone Occidental. Il s’agit d’un rendez-vous annuel de réflexion, de partage, de réception, de convivialité et de collégialité des femmes et hommes des Lettres et des Sciences de toute sorte autour du Livre, le patrimoine commun de l’humanité », précise Dieudonné Mbaïhiamel. L’une des particularités de cette initiative repose sur sa configuration inclusive. Tous les genres littéraires sont explorés au cours des sessions. C’est aussi l’occasion pour les auteurs de dédicacer leurs œuvres et les chercheurs et critiques littéraires de présenter les résultats de leurs recherches. Le Dr Clément Patrick Oyieh de l’Institut d’Art oratoire de Ndjaména et Balornom Kali, doctorant à l’université de. Moundou ont amené le public à saisir la quintessence des recueils de poèmes rédigés par Allamaradji Youssoupha, Merci Minguedem. Le thème général de la rencontre était axé sur : « Le Besoin d’une Littérature Constructive entre la littérature engagée et la littérature des fleurs à l’aune d’un Tchad nouveau ». Une formulation qui a donné lieu à des débats passionnés entre le public et les panelistes. « L’engagement littéraire est une forme de spécificité dans la littérature qui centralise au cœur de la production littéraire, un parti-pris pour une cause sociale, politique, économique. C’est une littérature de dénonciation et de sympathie envers les couches sociales les plus opprimées. Dans le théâtre, cet engagement prit forme d’une conscientisation de la masse populaire sur sa condition existentielle, voire structurelle. Dans la dramaturgie, cet engagement est un meilleur outil de sensibilisation, de conscientisation, une sonnette d’alarme sur les enjeux et les défis auxquels font face la société et les individus. », analyse avec profondeur, Dieudonné Mbaïhiamel. Ainsi dans son essai « L’Afrique Empoisonnée, pathologies et Thérapies des Conflits », présenté lors d’une session sur les essais, l’ancien Premier ministre du Tchad, Albert Pahimi Padacké analyse les causes souvent complexes à l’origine des nombreux conflits qui minent l’Afrique et retardent son développement. L’auteur esquisse également quelques pistes de solution pour le renouveau du continent.
Cœur de cible
Au-delà de la question littéraire et des fondements de son écriture, le FLIES sert aussi de cadre de plaidoyer pour un accès au livre à moindre coût. Les autres acteurs de la chaîne du livre y sont représentés et proposent des pistes de solutions. « Des gens écrivent mais il faut qu’il y ait des maisons d’édition pour les publier et surtout rendre ces documents accessibles aux lecteurs. Car, si nous voulons la renaissance, il faut que des gens entrent en possession des ouvrages et les lisent. C’est à ce niveau que la place de la maison d’édition est déterminante. Elle permet de pousser des gens à écrire. Il y des personnes qui ont des connaissances pouvant révolutionner la renaissance africaine, mais qui n’écrivent pas. Surtout que nous évoluons dans un contexte africain marqué par la culture de l’oralité », explique Giscard Nerade, des Editions Milagelemy en soulignant l’impératif de faire bouger les lignes dans le bon sens. Le cœur de cible du festival étant les jeunes. Un atelier d’écriture a été. Organisés à leur intention. Le Dr Edgard Gousse, écrivain québécois multi potentiel. Il leur a enseigné les rudiments et les subtilités de l’écriture poétique. Parce que la poésie, tout en permettant d’exprimer des émotions, sert également à défendre des idées.