L’essentiel
- Kiev ouvre des ambassades en Afrique et livre de l’aide humanitaire, notamment aux réfugiés maliens en Mauritanie.
- Objectif : affaiblir l’emprise stratégique et militaire de Moscou, encore très implantée sur le continent.
- Malgré des moyens limités, l’Ukraine espère inverser les perceptions africaines et peser diplomatiquement.
Une offensive diplomatique inédite venue de Kiev
Depuis Nouakchott, la capitale mauritanienne, un discret bras de fer se joue entre deux puissances que tout oppose. D’un côté, la Russie, vieille alliée de nombreux régimes africains depuis la Guerre froide, présente dans plus de 40 pays du continent. De l’autre, l’Ukraine, qui multiplie les initiatives pour gagner les cœurs et les esprits, en pleine guerre contre Moscou.
Pour la première fois, Kiev a décidé d’investir massivement le champ diplomatique africain : huit ambassades ouvertes depuis 2022, dont celles de la Côte d’Ivoire et du Congo. En Mauritanie, elle est allée plus loin en proposant de former les soldats locaux, dans un contexte tendu entre Nouakchott et Bamako, où les forces russes épaulent le pouvoir malien contre les rebelles touaregs.
L’humanitaire comme levier stratégique
Mais c’est l’aide alimentaire qui constitue l’outil le plus visible de cette offensive ukrainienne. Grâce à l’initiative « Grain from Ukraine », près de 300 000 tonnes de nourriture ont été acheminées vers 12 pays africains dont le Congo, le Kenya, l’Éthiopie ou encore la Somalie. En Mauritanie, les réfugiés maliens du camp de Mbera – désormais près de 250 000 personnes – ont reçu des livraisons ukrainiennes de blé, d’huile et de pois cassés.
À en croire les diplomates sur place, comme Viktor Bort, jeune représentant à Nouakchott, ces livraisons sont strictement humanitaires. Pourtant, le geste est éminemment politique dans une région où Moscou distribue aussi ses propres cargaisons, tout en gardant un pied militaire dans plusieurs pays sahéliens.
→ Lire aussi : « Guerre d’influence entre puissances étrangères : l’Afrique au cœur du jeu géopolitique »
Un pari difficile, mais symbolique
Consciente de ses limites face à la puissance de feu russe, l’Ukraine joue la carte de la solidarité et de la mémoire historique. Pour Maksym Subkh, envoyé spécial ukrainien pour l’Afrique, la lutte contre Moscou est comparable au combat anticolonial mené par de nombreux pays africains : « Nous voulons montrer que notre résistance à l’ex-empire soviétique a des résonances avec l’histoire du continent. »
Mais cette stratégie, si elle attire l’attention, reste semée d’embûches. L’ambassade prévue en Éthiopie n’a toujours pas de titulaire, et un sommet Ukraine-Afrique, initialement prévu en physique, a été rétrogradé en simple visioconférence fin 2024.
À cela s’ajoute une controverse diplomatique : en juillet dernier, le Mali a rompu ses relations avec Kiev, soupçonnant l’Ukraine d’avoir soutenu un assaut touareg meurtrier contre des soldats maliens et leurs alliés russes. Une implication démentie par les autorités ukrainiennes.
Un nouveau chapitre des relations Afrique-Europe de l’Est
Dans cette nouvelle guerre d’influence, l’Afrique devient un champ de bataille diplomatique à part entière. Kiev tente de démontrer qu’elle peut être un partenaire crédible, et surtout, une alternative à Moscou. Avec peu de moyens, mais une stratégie clairement assumée, l’Ukraine avance ses pions.
Reste à voir si les capitales africaines, souvent prudentes et soucieuses d’éviter les ingérences, seront prêtes à modifier leurs équilibres diplomatiques dans la sphère internationale.