Au sortir d’une session extraordinaire du Conseil d’administration de la société Trading & Exploitation (Tradex), tenue le 10 octobre 2024 à Yaoundé, Simon Paley a été débarqué du poste de directeur général (DG) de cette entreprise à capitaux mixtes, qui fait figure de porte-étendard des nationaux dans la distribution des produits pétroliers au Cameroun. Selon un communiqué officiel publié le 11 octobre 2024, l’ancien directeur commercial de la Société nationale des hydrocarbures (SNH), devenu DG de Tradex en 2019, a été remplacé à titre intérimaire par Emmanuel Patrick Mvondo, qui occupait jusque-là le poste de directeur général adjoint de l’entreprise.
« Au moment où Tradex célèbre le 25ᵉ anniversaire de sa création, l’avènement d’un nouveau dirigeant à la tête de l’entreprise annonce une ère de conquêtes nouvelles, fondées sur l’audace, l’agilité, l’inventivité et l’épanouissement du personnel », peut-on lire dans le communiqué annonçant la nomination d’Emmanuel Patrick Mvondo.
Au demeurant, si « cette décision du Conseil d’administration est accueillie avec allégresse par les salariés de l’entreprise », selon les termes du communiqué sus-mentionné, elle laisse cependant songeur. En effet, elle survient au lendemain de la publication, par voie de médias, des performances financières et opérationnelles réalisées par Tradex au cours des cinq dernières années, période correspondant au bail de Simon Paley au poste de DG de cette entreprise.
Selon ces données officielles, la société Tradex a réalisé un résultat net record de 14,7 milliards de FCFA au cours de l’année 2023, en hausse de 107 % sur une période de 5 ans. Cette performance est surtout la plus élevée depuis la création de cette entreprise pétrolière en 1999, apprend-on. Dans le même temps, grâce à des investissements d’un peu plus de 8 milliards de FCFA au cours de la période sous revue, le chiffre d’affaires de Tradex a progressé de 32 % entre 2019 et 2023, passant de 291,3 milliards de FCFA à 387,3 milliards de FCFA.
L’ombre des scandales Glencore et Trad’Card
Fort de ces performances, les actionnaires de Geogas, opérateur gazier qui contrôle 36 % du capital de Tradex, n’ont pas voté la résolution sur le limogeage de Simon Paley lors du conseil du 10 octobre dernier. Mais, en dépit du soutien des actionnaires de Geogas, le désormais ex-DG de Tradex a été limogé, grâce aux votes favorables des actionnaires de la SNH, qui contrôlent 54% du capital de l’entreprise, ainsi que des autres actionnaires détenant 10% des parties de l’entreprise. « Les actionnaires de Geogas n’ont effectivement pas voté la révocation du DG, mais ont voté pour la nomination du nouveau DG par intérim », souffle une source autorisée.
Interrogées sur le motif du limogeage de Simon Paley, nos sources invoquent « la perte de confiance ». Mais, selon les informations puisées au sein du Conseil d’administration de Tradex, derrière cette expression officielle se cacheraient en réalité deux affaires. La première affaire concerne le scandale Glencore. Il a été révélé que des cadres camerounais de la SNH et de la Sonara auraient reçu environ sept milliards de FCFA en pots-de-vin de la part du trader anglo-suisse, en échange de certaines facilités. La deuxième affaire touche à la Trad’Card, une carte électronique permettant d’acheter du carburant dans les stations Tradex. Ce scandale, révélé en 2022, aurait fait perdre à Tradex environ deux milliards de FCFA. Il impliquerait un proche de Simon Paley, aujourd’hui en fuite.
Un limogeage contesté
Ces motifs sont contestés par l’entourage de Simon Paley. En effet, les proches de l’ancien DG de Tradex admettent que les deux affaires ont bien été évoquées lors du Conseil d’administration, mais des doutes persistent quant à leur pertinence. «Concernant l’affaire Glencore, certains actionnaires ont demandé des éléments impliquant Simon Paley directement dans cette affaire de corruption. Aucune preuve tangible n’a été présentée par les accusateurs. En l’absence d’une décision judiciaire ou d’une enquête formelle du Tribunal criminel spécial (TCS), ce motif s’est avéré trop léger pour justifier l’éviction de Simon Paley de ses fonctions de DG», confie un proche du DG sortant.
Précisons qu’en tant que directeur commercial de la SNH (2003 – 2019), Simon Paley était un des acteurs de premier plan dans le dispositif de négociation des contrats de vente du brut camerounais, chapeauté par Adolphe Moudiki, administrateur directeur général de la SNH. « Il faut savoir que seul l’ADG de la SNH est habilité à signer les contrats de vente de brut. Donc, une fois les négociations bouclées, les projets de contrats de vente de pétrole sont soumis à son appréciation. Il les évalue au préalable avant de les signer. Car, c’est sa signature qui engage la SNH. Cette procédure a toujours été rigoureusement respectée, y compris pendant les années concernées par l’affaire Glencore », fait observer notre source.
Le camp Paley prend également ses distances avec l’affaire de la Trad’Card, pendante devant le Tribunal criminel spécial (TCS). « Simon Paley n’a pas de responsabilité dans ce scandale. S’il a été auditionné lors des enquêtes, aucune charge n’a été retenue contre lui. Il n’a même pas été retenu comme témoin dans cette procédure. Le suspect principal de cette affaire, qu’on présente comme proche de lui, est responsable de ses agissements. Surtout que cet employé en fuite a été recruté puis responsabilisé à Tradex plusieurs années avant que Simon Paley n’arrive à la direction générale de cette entreprise », avance-t-on à la décharge du désormais ex-DG de Tradex.
Climat social
Mais, au-delà de ces deux griefs, il serait resté en travers de la gorge de certains administrateurs de Tradex, l’abandon par Simon Paley du projet de rachat du réseau de stations-services de TotalEnergies en République centrafricaine et au Tchad (Tradex dispose de filiales dans ces pays, NDLR), après avoir reçu le quitus du Conseil d’administration de faire une offre. Des sources internes à l’entreprise et au Conseil d’administration évoquent également un climat social devenu délétère, depuis l’arrivée de Simon Paley en 2019. Ce qui a conduit à la démission de certains cadres ces dernières années. Le cas le plus récent est celui de la directrice des affaires générales, Jessica Dina, partie à Cimencam un an seulement après sa nomination au poste.
« Au début, nous croyions que c’était la discipline, parce qu’il ne faut pas se le cacher, un certain désordre régnait au sein de l’entreprise. Mais, par la suite, le climat social s’est vraiment détérioré, suite à certaines décisions prises par le DG. Vous imaginez par exemple que pour prendre une pause, les employés ont besoin d’un document délivré par le supérieur hiérarchique pour franchir le portail ? », confie un employé.
Au rang des décisions ayant crispé le climat social, nos sources évoquent également la suppression du « Car plan ». Cette facilité qui permettait à des cadres de Tradex de se faire doter un véhicule par l’entreprise, et de ne rembourser que 20% du montant de l’achat par traites, la société pétrolière assumant le reste des 80 %. « On peut comprendre que certaines décisions d’un manager ne plaisent pas à une partie du personnel. Mais, la mission était d’améliorer la rentabilité de Tradex. Un défi que Simon Paley a relevé, comme le témoignent les chiffres de l’exercice 2023 », commente-t-on dans le cercle de Paley.
Crise à la SNH
La révocation de Simon Paley intervient dans un contexte marqué par une crise sans précédent au sein de la SNH, la maison-mère de Tradex. En effet, le Conseil d’administration et la direction générale du mastodonte pétrolier camerounais s’opposent sur l’opération de rachat, par la SNH, de 10% des actions jadis détenues par la société Savannah Energy dans le capital de la société Cotco SA, conclut le 19 avril 2023 pour un montant de 26,8 milliards de FCFA. Lors du Conseil d’administration extraordinaire du 24 juillet 2024, les administrateurs de la SNH ont rejeté les comptes de l’exercice 2023. La décision visait à sanctionner cette opération non autorisée par le chef de l’État, selon les termes d’un communiqué signé par Ferdinand Ngoh Ngoh, le secrétaire général de la présidence de la République et PCA de la SNH. Un fait inédit pour cette entreprise, dont Adolphe Moudiki tient les rênes depuis 31 ans, et dont le départ, annoncé par diverses sources, n’a finalement pas eu lieu.
Quelques jours après cette session du Conseil d’administration, Maurice Matanga, le directeur de la stratégie à la SNH et secrétaire du Conseil d’administration de l’entreprise, qui a participé à cette réunion tenue au Palais de l’Unité, a été prié de faire valoir ses droits à la retraite, puis déchargé de façon inhabituelle de ses fonctions de PCA de la compagnie d’assurances Chanas, dont la SNH est également l’actionnaire majoritaire. Pour les proches de Simon Paley, le limogeage de l’ex-directeur général de Tradex entrerait dans la même dynamique. D’autant plus que le nom de ce ressortissant du Grand-Nord est souvent revenu comme un candidat sérieux à la succession d’Adolphe Moudiki à la tête de la SNH, ce qui ne lui a pas valu que des amitiés chez le mastodonte du pétrole et du gaz au Cameroun.
Brice R. Mbodiam et Baudouin Enama
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