Après 24 ans de pouvoir autoritaire, le président tunisien est emporté par une révolution née à la suite de l’immolation par le feu d’un vendeur à la sauvette.
14 janvier 2011. Les temps sont durs pour Ben Ali et les siens. La tension est vive à Tunis. Les manifestations qui ont embrasé le pays 10 jours plus tôt ont durci. De plus en plus violents, les manifestants ont pris d’assaut les domiciles des membres du clan Trabelsi, la famille de la Première dame de Tunisie, décidés à leur faire la peau. Paniquée, Leila Trabelsi leur propose de quitter le pays à bord de vols commerciaux pour se réfugier en Europe. Pas de chance ; ils sont arrêtés au moment de partir.
Au palais de Carthage, le chef de la l’État a été rejoint par son épouse et l’une de leurs filles. Ben Ali a presqu’été abandonné par sa garde prétorienne. Le chef de la garde présidentielle, le tout puissant général Ali Seriati convainc le président et son épouse de quitter « momentanément » le pays, le temps pour lui de mater la contestation. Vrai conseil ou stratagème pour lui ravir le pouvoir ? Toujours est-il que les Ben Ali quittent Tunis ce 14 janvier 2011 autour de 17h47 à destination de Djeddah en Arabie Saoudite. Le général félon n’ira pas bien loin dans son dessein : il est immédiatement arrêté sur ordre du ministre de la Défense et du chef d’état-major des armées, lesquels avaient refusé d’ouvrir le feu sur les contestataires. Clap de fin pour le président Zine el-Abidine Ben Ali. Il régnait d’une main de fer sur son pays depuis 24 ans.
La chute du président Ben Ali commence le 17 décembre 2010 à Sidi Bouzid, petite ville du centre de la Tunisie à quatre heures de route de Tunis. Ce jour-là, un jeune vendeur ambulant, Mohamed Bouazizi est victime, comme tous ses autres camarades de la violence policière. On lui saisit sa marchandise et son matériel. Suprême humiliation, une policière lui inflige un soufflet en public.
Mohamed Bouazizi
Dans la même journée, alors que tout semble s’être calmé, Bouazizi, lui, ne s’est pas remis de l’affront. Il se rend au siège de la police dans le but d’essayer de récupérer son matériel. Refus catégorique de la police. Ç’en est de trop, estime le jeune homme de 26 ans qui décide de ne pas en rester là. Il achète un bidon d’essence, revient devant les locaux de la police, vide le contenu sur lui-même et craque une buchette d’allumette. Il flambe. Transporté à l’hôpital, il décède le 4 janvier des suites de ses brulures. Ce qui au départ était un geste fou, un acte de désespoir d’un pauvre hère, devient le déclencheur d’une véritable révolution. La révolte populaire commence à Sidi Bouzid, d’abord contre la police, puis contre les autorités locales avant d’être orientée contre le régime de Ben Ali. Le pays tout entier s’embrase. C’est le début de la révolution des Jasmins.
« Ben Ali, dégage » ! scande la foule de Sidi Bouzid à Tunis, en passant par Kairouan, Bizerte et Gabès. Tous les griefs contre le pouvoir longtemps enfoui du fait de la terreur qui régnait sur le pays ressortent avec une rare détermination : corruption, violence, chômage, etc. Comme derrière chaque autocrate se cache une femme extravagante et arriviste, le fardeau de Ben Ali est dans son lit : Leïla Trabelsi qu’il a épousée en secondes noces le 26 mars 1992. Fantasque, assoiffée de richesse et de pouvoir, celle qu’on a surnommé « la Régente de Cartage » cristallise toute la haine des Tunisiens, coupable avec sa famille d’avoir fait main basse sur les richesses du pays. « Profitant du mauvais état de santé du président, Leïla avait pris un ascendant croissant sur lui au point de se rêver en régente », explique le journaliste Dominique Lagarde.
La riposte de la police est brutale. Elle laisse plusieurs morts sur le carreau. Mais la détermination du peuple ne faiblit point. Jusqu’à ce 14 janvier fatidique où le couple Ben Ali est chassé par la rue.
La régente de Cartage
Lorsque Ben Ali arrive au pouvoir le 7 novembre 1987 apprès avoir déposé le président Habib Bourguiba devenu sénile et déclaré inapte à poursuivre ses fonctions à la tête de la Tunisie, il est porteur de beaucoup d’espoirs. Il promet la démocratie, les libertés publiques et le développement. Les débuts sont prometteurs. Il fait libérer les prisonniers politiques, ramène au pays les opposants en exil, etc.
Mais très vite, les perspectives prometteuses laissent la place à la désillusion. Le Tunisie de Ben Ali se durcit et devient un Etat policier. La démocratie promise a laissé la place à la dictature. La corruption règne, le chômage grimpe. Le culte de la personnalité sur fond d’achat des conscience atteint des niveaux considérables. « Des plumitifs flagorneurs vantent chaque jour, dans les colonnes d’une presse aux ordres, la “hauteur d’esprit“, la “clairvoyance“ et la vision “prospective“ ou “avant-gardiste“ d’un président omniscient et omniprésent. Le multipartisme officiel est une mascarade. Les opposants sont en butte à des tracasseries diverses qui relèvent des méthodes de basse police : photos ou vidéos truquées, accusations ordurières dans la “presse caniveau“, accidents maquillés, drogue dissimulée dans un bagage, etc. », témoigne Dominique Lagarde.
Après son départ du pouvoir, Ben Ali décède en exil le 19 septembre 2019 à Djeddah à 83 ans. Son épouse, Leïla, 68 ans, vit quant à elle, un exil doré en Arabie Saoudite où elle continue de mener le train de vie fastueux dont elle a toujours raffolé. Les autorités tunisiennes ne désespèrent toujours pas de devoir la juger un jour.
Jean-Bruno Tagne