L’affaire Glencore, qui a secoué plusieurs pays africains, dont le Cameroun, refait surface avec un nouvel élément marquant : la justice britannique refuse de révéler les noms des Camerounais soupçonnés d’avoir été corrompus par le géant pétrolier suisse. Malgré les efforts soutenus du gouvernement camerounais, à travers le Ministère des Finances et la Société Nationale des Hydrocarbures (SNH), les noms des responsables locaux impliqués dans cette vaste affaire de corruption restent cachés, protégés par une « clause d’anonymat », a-t-on appris d’un communiqué signé le 10 septembre 2024 par Adolphe Moudiki, l’Administrateur Directeur Général de la Société Nationale des Hydrocarbures.
L’affaire remonte à la période entre 2012 et 2018, pendant laquelle Glencore aurait corrompu des responsables dans plusieurs pays africains, dont le Cameroun, pour obtenir des contrats avantageux dans le secteur pétrolier. L’enquête menée par le Serious Fraud Office (SFO) britannique a révélé que la multinationale suisse aurait versé des pots-de-vin conséquents à des fonctionnaires camerounais via des transactions opaques, afin de sécuriser des faveurs commerciales liées à l’exploitation du pétrole brut.
En novembre 2022, Glencore a été condamnée par la Southwark Crown Court à Londres pour des pratiques de corruption avérées dans plusieurs pays, y compris le Cameroun. Cependant, les détails précis concernant les personnes impliquées au niveau national n’ont jamais été révélés. La confidentialité autour de ces noms a été justifiée par les autorités britanniques sous le prétexte d’une « clause d’anonymat » convenue entre Glencore et le SFO, un fait qui jette un voile opaque sur le volet Camerounais de l’affaire.
Face à cette situation, le Cameroun n’est pas resté passif. Dans son communiqué publié le 10 septembre 2024, Adolphe Moudiki a révèle que « depuis la révélation de cette affaire, en mai 2022, la SNH a gelé toutes ses activités avec Glencore, aussi bien dans le domaine de l’exploration/production qu’au plan commercial. » Ce gel des relations démontre l’engagement de la SNH à adopter une posture ferme vis-à-vis de toute entreprise impliquée dans des actes de corruption.
En mai 2022, puis à nouveau en juin 2023 après la condamnation de Glencore, la SNH a officiellement demandé à la société de lui fournir les noms des employés camerounais impliqués dans ces actes de corruption. Glencore a refusé de répondre à ces requêtes, invoquant une nouvelle fois une obligation de confidentialité imposée par le SFO.
Le 6 novembre 2023, la SNH a franchi une nouvelle étape en portant plainte devant le Tribunal Criminel Spécial (TCS) du Cameroun. L’objectif de cette plainte est d’identifier, poursuivre et faire condamner les personnes impliquées dans cette affaire de corruption, conformément au Code Pénal camerounais. Adolphe Moudiki a réaffirmé que la SNH attend son audition avec l’espoir que les responsables seront démasqués et traduits en justice : « En tout état de cause, la SNH reste dans l’attente de son audition par le Tribunal Criminel Spécial, suite à sa plainte déposée le 6 novembre 2023, avec l’espoir que toutes les personnes impliquées dans ces crimes économiques seront démasquées et poursuivies conformément au Code Pénal camerounais », a-t-il souligné.
L’action déterminée du Ministère des Finances
Outre les initiatives de la SNH, le Ministre des Finances Louis Paul Motaze, a également pris des mesures concrètes pour sauvegarder les intérêts de l’État du Cameroun. Suite aux dénonciations de Maître Akere Muna, un groupe de travail a été mis en place par le ministre des Finances pour évaluer les pertes fiscales découlant des fraudes reconnues par Glencore. Ce groupe qui a mené de larges investigations et analyses sur les agissements de Glencore et de sa filiale camerounaise aurait estimé le préjudice fiscal à environ 20 milliards de francs CFA, un montant qui, selon un cadre du Minfi, sera probablement alourdi par des pénalités conséquentes.
Ce groupe de travail du MINFI a rapidement formulé des recommandations pour récupérer les montants perdus et sanctionner les coupables. L’une des propositions centrales du groupe de travail concerne la taxation des sommes occultes, conformément à l’article 45 du Code général des impôts camerounais. Ce texte prévoit que les sociétés ou autres personnes morales qui versent des sommes à des individus dont elles ne révèlent pas l’identité sont soumises à l’impôt sur le revenu des personnes physiques. Cette mesure vise à récupérer un maximum de recettes fiscales, majorées de lourds intérêts. Ces fraudes, basées sur des écritures comptables erronées, pourraient également être sanctionnées par des amendes fiscales. Pour obtenir réparation, le Cameroun devra de toute évidence se porter partie civile dans la procédure judiciaire en cours à Londres. Le Minfi envisagerait également des procédures judiciaires au Cameroun contre le groupe Glencore et sa filiale camerounaise pour fraude fiscale et douanière en raison des importantes pertes fiscales subies par le Cameroun.
Néanmoins, certaines avancées ont été réalisées. Les autorités camerounaises ont déjà identifié les infractions liées à cette affaire. Le cadre juridique entourant ces infractions a été clairement défini, ce qui a permis de mieux circonscrire les responsabilités et d’entamer des poursuites ciblées. Ces précisions devraient accélérer les procédures judiciaires et renforcer les chances de récupération des montants détournés
Avec l’accord du chef de l’État, Louis Paul Motaze a également saisi les autorités compétentes de la Confédération helvétique et du Royaume-Uni, notamment le Serious Fraud Office (SFO), dans le but d’obtenir des informations plus complètes sur les acteurs camerounais impliqués dans cette affaire. «Les demandes d’informations destinées aux autorités suisses et britanniques ont été transmises à l’Unité d’échange international des renseignements. Le but est d’obtenir des éléments du dossier d’enquête du Serious Fraud Office (SFO) », soutient un responsable des Finances. À ce jour, le sort réservé à ces correspondances demeure inconnu.
Ces actions visent non seulement à révéler les noms des fonctionnaires corrompus, mais également à évaluer l’étendue des pertes fiscales et économiques subies par le Cameroun à la suite de cette fraude. Comme le souligne un cadre du Ministère des Finances “Cette affaire constitue un enjeu majeur pour le MINFI, qui cherche à obtenir réparation non seulement des pertes fiscales, mais aussi de l’atteinte à sa souveraineté et à l’intégrité de ses institutions économiques. Les autorités camerounaises s’efforcent de redresser la situation, avec l’espoir que la justice internationale, malgré ses complexités, permettra de faire la lumière sur les faits et d’obtenir des compensations justes”.
La justice britannique, entre confidentialité et blocage
La décision de la justice britannique de ne pas divulguer les noms des responsables camerounais incriminés dans l’affaire Glencore a de quoi frustrer l’opinion Camerounaise, dont des figures marquantes telles que Me Akere Muna œuvrent inlassablement à la manifestation de la vérité. Pour beaucoup, il est inacceptable que les fonctionnaires impliqués dans un scandale de cette ampleur soient protégés par une clause de confidentialité. Les critiques estiment que cette protection constitue un obstacle majeur à la lutte contre la corruption en Afrique et qu’elle prive les États concernés des informations nécessaires pour juger et sanctionner leurs citoyens.
Malgré cela, la Southwark Crown Court, qui a condamné Glencore en novembre 2022, a maintenu que la confidentialité des témoins et des collaborateurs dans cette affaire devait être respectée pour des raisons légales. Une nouvelle audience est prévue en octobre 2024, et les autorités camerounaises espèrent que de nouveaux éléments pourront être révélés à cette occasion.
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