A quelques mois de l’élection présidentielle prévue en octobre prochain, la passe d’armes est déjà palpable entre les différents acteurs impliqués. Des sujets les plus flamboyants : « la probable candidature de Paul Biya » à cette élection. Alors que certains misaient sur le fait que, du haut de ses 92 ans et vu de son règne, long de plus de quatre décennies, le Chef de l’Etat trouverait lui-même logique de se retirer des affaires cette année, que nenni ! Ils ont lamentablement été parachutés de leurs univers oniriques au soir du 31 décembre 2024, lorsque vers la fin de son adresse à la Nation, Paul Biya mâchonne tout en fixant la caméra, l’idée que sa détermination à servir les Camerounais reste intacte, et se renforce d’ailleurs au quotidien.
Dans l’église catholique, chez plusieurs évêques, la graine était tombée sur des épines et des ronces. C’était la chose à ne pas dire. Cette partie du discours était renversante pour ces Princes de l’Eglise. C’était comme si, après avoir persécuté les chrétiens, Paul essayait de se mettre au-devant des brebis du Christ. Bref, il a révolté les hommes de Dieu. Et certains comme l’évêque de Yagoua, Mgr Barthélemy Yaouda Hourgo, ont même dit préférer remettre le pays entre les mains du Diable que de le laisser encore entre les mains de Paul Biya. Et les multiples sorties des thuriféraires et apparatchiks du régime ont eu beaucoup de mal à brouiller les ondes de ces homélies apocalyptiques au régime de Yaoundé, plutôt saluées et très applaudies dans l’opposition et chez plusieurs acteurs de la société civile. Mais, pas chez les chefs traditionnels.
La rescousse
En effet, lors de la réunion du bureau exécutif de leur Conseil national (CNCTC) lundi dernier, le 27 janvier, les gardiens de la tradition, ont apporté leur « soutien » au président Paul Biya. Dans une déclaration à l’issue des travaux qui ont réuni, trois cents Autorités traditionnelles, selon les chiffres du Minat, issues des quatre aires géographiques et culturelles du pays, les chefs présentent Paul Biya comme étant leur candidat à l’élection présidentielle annoncée cette année. Paul Biya, « c’est un homme d’expérience et il connaît le Cameroun mieux que personne », a notamment souligné Sa Majesté Guy Tsala Ndzomo, qui dans la foulée, avait déjà été fait, le nouveau chef élu de ce Conseil des chefs traditionnels.
Pour justifier son choix, le CNCTC avance plusieurs raisons. Les « dépositaires du pouvoir ancestral » insistent entre autres, sur « les efforts constants du président de la République Paul Biya pour la paix au Cameroun », « l’attention particulière accordée aux chefs traditionnels à travers des nominations aux responsabilités diverses », et « l’expérience, la clairvoyance, le patriotisme et la sagesse du président Chef de l’Etat ».
Ainsi, peut-on constater, ni le débat qui a cours sur l’âge de Paul Biya qui aura 92 ans et 08 mois en octobre prochain, ni la situation socio-économique du pays critiquée de la part de certaines autorités religieuses et ONG, n’ont eu de prise sur la position des chefs auxiliaires de l’administration, comme ils l’ont eux-mêmes rappelé. Détail important, cette déclaration de soutien a été lue en présidence de l’autre Paul, Atanga Nji, le ministre de l’Administration territoriale, qui présidait les travaux.
La secousse
Cependant, la présidence de ces travaux, par le Minat, et la présence participative de certains membres du Gouvernement comme le ministre d’Etat, Ministre de l’Enseignement Supérieur, lui-même autorité traditionnelle, n’est pas sans éroder la légitimité de l’appel qui résonne depuis la case des chefs. Dans l’opinion, des questions fusent, les voix s’interrogent : « Comment pouvaient-ils en être autrement ? ». A la recherche d’un contrepoids digne de ce nom susurre-t-on dans l’opinion, le Gouvernement a sollicité les chefs traditionnels, pour héberger Paul Biya, que l’église semble avoir laissé sans abri. Comme quoi, si on ne peut pas contrôler ces Evêques qui se revendiquent d’un autre pouvoir, autant mieux faire parler ces gardiens de la tradition qui sont connus et reconnus comme des auxiliaires de l’Administration.
Et la flamme de la controverse liée à la motion de soutien des chefs, avait même été étincelée la veille même du conclave des autorités traditionnelles, par l’écrivaine Calixthe Beyala sur les réseaux sociaux qui a lancé : « Les chefs traditionnels ne sont pas, pour la plupart d’entre eux, l’émanation de nos ancêtres. Ils ont été nommés à la tête de nos villages par le Régime en place. Les désobéir est un acte salutaire ! A cet instant où je vous écris, ils sont logés à l’hôtel Mont Febe par les tenants du régime. » En prédiction à la déclaration de « soutien », l’auteure de L’homme qui m’offrait le Ciel a ajouté : « Au regard de ce qui précède, leurs propos sont nuls et ne concernent pas les 30 millions des camerounais qui souffrent le martyr depuis des lustres ! Ils parleront pour eux et pour leurs familles. Quant à nous, 30 millions des camerounais, nous suivrons les directives de nos évêques, pasteurs et Imams ».
Mais alors que le débat s’enfle dans notre landerneau politique, il faut bien se rappeler qu’à date, Paul Biya reste fidèle à son « silence ». Et dès lors, tout débat sur sa candidature à la prochaine élection, n’est que pure spéculation ou au mieux, une simple animation de l’espace public en une année électorale.