Le mois février en cours, exactement comme en 2008, est très tendu au Cameroun. Avant d’entamer la deuxième quinzaine, le pays est déjà passé au moins à trois repris, au bord d’un volcan social en phase éruptive.
L’amertume du sucre de Mbandjok et de Nkoteng
Mardi le 4 février, de violents affrontements éclatent à Nkoteng, opposant les employés très remontés de la Sosucam, aux éléments des forces de l’ordre. Officiellement, l’étincelle qui fait jaillir la flamme : des in- suffisances managériales de la part du nouveau di- recteur général, notamment, d’importants retards de paiement des quinzaines des employés. Des faits qui ont provoqué ce jour, une mobilisation sans précédent parmi les travail- leurs de l’usine annexe à Nkoteng. Dans leur cour- roux, ils ont pris d’assaut les sites de Mbandjock et Nkoteng, indiquent des sources. La colère des grévistes a rapidement dégénéré en affrontements violents avec les forces de l’ordre, déployées sur place à la demande de la direction de l’entreprise. Ces événements tragiques ont entraîné la mort de deux policiers et plongé la ville dans la consternation.
Il est cependant à s’étonner de cette fougue des manifestants qui n’ont pas eu de retenue devant l’autorité de l’Etat qu’incarne l’homme en tenue. Comment le policier qui, interpellé pour venir contenir la colère des manifestants et prévenir d’éventuelles exactions de colère, peut être confondu en bourreau par ces citoyens qui ont des revendications à faire valoir ? Cette crise sociale de la Sosucam n’a-t-elle pas été infiltrée par certains ennemis de la République, qui, en cette période pré-électorale, prêchent le chaos, à des fins électoralistes inavouées ? Des questions et bien d’autres auxquelles il faudrait répondre, considérant le fait que, quoiqu’ayant, encore rien dit de précis lui-même, la candidature l’éventuelle du Paul BIYA au scrutin présidentiel d’octobre prochain, fait beaucoup de bruit de bottes et de casseroles dans le landernau politique.
Des coups de feu de Mokolo
Mercredi le 05 février, le Marché Mokolo à Yaoundé, l’un des plus grands de la cité capitale bascule dans de vifs affrontements entre commerçants et policiers, avec en leur sein, des coups de feu lâchés qui ont plongé l’espace marchand dans une psychose générale. « L’origine des échauffourées serait liée à une opération des autorités visant à dégager des installations jugées illégales », a confié une source à Le Point. Face à la résistance des commerçants, les forces de sécurité auraient réagi avec fermeté, ce qui a dégénéré en affrontements violents, obligeant les hommes en tenue de lâcher quelques coups de feu. Très vite, les commerçants grévistes ont brandi les effigies du Chef de l’Etat. « C’était un acte fort et assez osé de la part de ces manifestants de brandir l’effigie du Chef de l’Etat dans un environnement chaotique. Soit c’était pour appeler Paul Biya à la rescousse face à ce qu’ils considèrent comme injustice, soit c’était pour lui dire « C’est toi Paul Biya qui nous mets dans cette situation donc tu dois partir » », analyse le journaliste Serge Bondje.
L’autorité tutoyée à Ma Mbed Mbed
Le 7 février 2025, une opposition des populations contre le parc national de Ma Mbed Mbed, potentielle source d’attaques d’éléphants, prend les allures d’une insurrection. Notons tout d’abord que dans de nombreux villages de Guidiguis et Taibong, deux arrondissements du département du Mayo-Kani dans la région de l’Extrême-Nord, les populations réclament à hue et à dia la fermeture du parc national de Ma Mbed Mbed. Elles craignent en effet que cette réserve faunique, créée en janvier 2020 par un décret du Premier ministre Joseph Dion Ngute, multiplie les conflits entre les hommes et les éléphants quand sa mise en place sera définitivement achevée. Pour mieux faire entendre leur voix, ces populations qui ont souvent manifesté bruyamment leur colère ont choisi, depuis le janvier de passer à la vitesse supérieure en intensifiant des manifestations pour obtenir des autorités l’annulation du décret portant création du parc national de Ma Mbed Mbed. Le 7 février dernier, dans la localité de Kourbi située dans l’arrondissement de Guidiguis, département du Mayo-Kani et la Région de l’Extrême-Nord, à proximité de la frontière avec le Tchad, une foule de manifestants en furie, armée de flèches, de machettes et de gourdins, a encerclé le gouverneur de l’Extrême Nord, le préfet, le sous-préfet de Kaélé et leurs états-majors. Selon des sources, il a fallu l’intervention conjointe du Bataillon d’Intervention Rapide et du Groupement Mobile d’Intervention qui ont usé de gaz lacrymogènes pour disperser la foule et extirper les autorités administratives de la barrière d’épines érigée par cette foule de manifestants majoritairement issus de la communauté Toupouri. Et les Forces de maintien de l’ordre se sont repliés d’urgence à la Base du BIR de Kaélé pour sécuriser les autorités. Le gouverneur a ensuite instruit une descente mixte du BIR et du 40e Bataillon d’Appui pour libérer le tronçon Kaélé-Guidiguis sur la Nationale N°12 qui avait été bloqué ce jour par la population depuis 04h du matin. C’était le cas le 29 janvier dernier à Ngarmassé, une banlieue de la ville de Guidiguis. Dans une vidéo amateur, on écoute les manifestants demander l’annulation du décret portant création du parc national de Ma Mbed Mbed. Deux semaines avant, les populations s’étaient déjà rassemblées pour faire la même demande. Pour l’instant, le gouvernement n’a donné aucune suite à cette demande de fermer le parc de Ma Mbed Mbed et rien n’exclut donc que d’autres manifestations soient organisées dans les prochains jours.
L’arbre qui cache la forêt
Mais ici encore, il est difficile de prendre pour du pain béni, le motif de revendication ouvertement scandé dans cette mobilisation énergique dont l’âge moyen des manifestants serait de 28 ans. « Ce que j’ai suivi aujourd’hui va au-delà de cette revendication… les manifestants disent qu’on leur a refusé l’accès à la fonction publique malgré leurs formations dans les ENIEG, écoles de santé, d’agriculture et d’élevage. L’ENAM c’est pour les enfants des mawbe (Boss). Maintenant on veut leur arracher leurs champs et maisons. Ils n’ont pas les moyens d’aller au Canada comme les autres », confie une source interne. Pour mieux peaufiner leurs plans d’action et garder les choses sécrètes, le mot d’ordre est clair : Ne s’exprimer qu’en langue locale dans les fora. « C’est ce qui explique cette grande mobilisation à laquelle nous avons assisté malgré le refus des autorités administratives » avec lesquelles le divorce semble prononcé, croit savoir notre source.
Trois manifestations en l’espace de trois jours ! Ça questionne ! Après les dé- clarations incendiaires de certains prélats de l’Eglise catholique que des ana- lyses pointues ont résumé en un appel des Camerounais à descendre dans la rue, il faut remarquer les trois revendications suscitées ont amené les Camerounais dans la rue. Si les appels des Evêques ont laissé les Camerounais indifférents, faut-ils voir les fronts Sosucam, Mokolo et Ma Mbed Mbed comme des ballons d’essai ? En tout cas pour des observateurs avertis, ces rixes traduisent fort bien, un risque réel d’embrasement du climat social dans notre pays.
Les récentes échauffourées au Cameroun, qu’il s’agisse des affrontements au marché Mokolo ou des manifestations à la Sosucam, ou encore de la défiance des autorités administratives dans l’Extrême-Nord par une communauté Toupouri en furie contre le parc national de Ma Mbed Mbed, révèlent ces experts, une montée des tensions sociales qui pourraient déboucher sur une crise plus large. Ces événements isolés, avertissent-ils, s’ils ne sont pas rapidement apaisés et compris dans leurs causes profondes, risquent d’attiser une colère sociale latente et de provoquer des réactions en chaîne. Les parallèles avec les émeutes de la faim de 2008 sont troublants. Tout comme à cette époque, la population semble exaspérée par la précarité, les inégalités et le manque de perspectives. Si les autorités ne prennent pas les mesures nécessaires pour répondre aux revendications des manifestants et pour améliorer les conditions de vie des populations les plus vulnérables, le risque d’une nouvelle explosion sociale est réel.