L’expert en Intelligence artificielle (IA) revient sur les bases d’une technologie qui révolutionne les interactions sociales tout en créant des richesses. Mais, il faut se lancer avec un esprit critique.
L’environnement technologique est dominé ces dernières années par l’intelligence artificielle (IA). Elle s’est imposée dans presque tous les secteurs sociaux. C’est quoi l’IA. Est-elle nouvelle comme technologie ?
L’IA est une discipline scientifique qui utilise des algorithmes mathématiques en général, avec pour objectif de simuler, d’interagir et de faire des activités qui sont normalement dédiées aux hommes. L’objectif est de rendre l’humain plus performant. Avec l’IA, on gagne en temps. La tâche qu’on faisait en 5 heures peut se faire aujourd’hui en 5 min. Concrètement, imaginez que vous avez un document de 500 pages à traduire en chinois. Ça va vous prendre du temps si vous êtes traducteur. Mais, avec un logiciel d’IA, je le traduis en moins de cinq minutes. L’IA existe depuis belle lurette. C’est une discipline qui a émergé depuis les années 40, 60. Alan Turing est l’un des précurseurs. Il a pensé les réseaux neuronaux artificiels, c’est-à-dire, les cerveaux artificiels. Il a pensé que les machines pouvaient effectuer des tâches qui sont normalement dédiées aux hommes. Dans les années 1940 à 1950, il n’y avait pas d’ordinateur pour calculer. Ce qui fait qu’à partir de 1940 jusqu’à les années 90, fin 1997, l’IA est restée dans la théorie. En 1996, les ingénieurs d’IBM ont réussi à faire un algorithme (Deep Blue, Ndlr) qui a battu le champion d’échec. Il s’appelait Kasparov. Cela a relancé les choses. Mais jusque-là, on était toujours confronté au problème de données et de puissance de calcul. C’est à la fin des années 2010 que les données ont commencé à arriver. Facebook, YouTube, Google…sont arrivés et ont commencé à produire des données, de vidéos sur lesquelles les algorithmes ont pu s’entraîner. À côté de ça, les ordinateurs sont devenus extrêmement puissants. Maintenant, on a des serveurs extrêmement puissants. Les cartes graphiques sont devenues extrêmement puissantes. C’est entre 2008-2010 qu’on a ressorti toutes ces théories qui étaient mises dans les placards pour pouvoir les tester et les utiliser de façon efficace. Cette technologie va impacter plusieurs métiers.
Vous avez animé une session de formation en novembre avec des journalistes et des créateurs de contenus. Certains découvraient avec stupéfaction certains outils. En quoi l’IA peut-elle aider les journalistes dans leur travail au quotidien ?
L’IA est intéressante dans l’environnement du journalisme. C’est aussi effrayant parce qu’on peut l’adapter à presque tous les secteurs d’activité d’une industrie ou d’un pays. L’IA peut changer la manière de fonctionner d’un secteur. Les journalistes ont certaines choses qu’ils ont l’habitude de faire de manière répétitive. Par exemple, faire un éditorial, rédiger un article, vérifier les faits (fact-checker) etc. Les journalistes peuvent désormais les confier à l’intelligence artificielle. Il y a des outils qui peuvent vous aider à effectuer rapidement des recherches sur une question précise. L’intelligence artificielle peut faire un résumé. Cela vous permet de gagner en temps. Le résumé qui sera fait peut avoir des manquements. Vous allez arranger et en moins de 20 minutes, c’est fait. Vous pouvez également décrypter des audios en quelques secondes désormais etc. Les algorithmes sont devenus extrêmement performants. On traduit facilement un document d’une langue à une autre en quelques secondes. L’intelligence artificielle est en train d’aller vers deux courants ChatGPT est en train de faire payer ses services. Mais, il y a le courant avec les solutions gratuites. Certains Chatbots vous donnent des réponses avec des références.
Cette technologie met au goût du jour la question du droit d’auteur. Quel est votre avis au sujet de cette problématique en tant qu’expert ?
Le droit d’auteur n’est plus une question simple. Elle est débattue au niveau du Parlement européen. C’est une question sur laquelle il faut se pencher. J’ai lu la proposition de loi sur le site du Parlement européen. La question de l’utilisation des données qu’on met en ligne pour entrainer les robots de Facebook, X, YouTube … est au cœur des débats. Même la législation américaine va s’y pencher. C’est un sujet très concret. Il faudra prendre en compte certains paramètres comme la gratuité entre autres.
Certains pourfendeurs de l’IA pensent qu’elle est un danger pour l’esprit créatif tant sur le plan professionnel qu’académique. Partagez-vous cette vision ?
Il y a des universités américaines, françaises qui commencent à réfléchir sur la question. Il y a eu une grève à Hollywood il y a quelques mois. Ce mouvement d’humeur remettait au goût du jour la place de l’IA dans l’industrie. L’IA est un problème majeur dans le monde créatif. Il devient de plus en plus difficile de différencier un tableau fait par un artiste et celui fait par l’IA. Sauf que, l’IA va s’entraîner sur les données du tableau réel pour créer le sien. Cela ramène à la question précédente sur les droits d’auteur.
Sur ce point précis, il va vraiment falloir faire quelque chose. Il y a un vrai pan de l’industrie qui risque de s’évanouir alors que la création est quelque chose de fantastique. Il va falloir légiférer avec force parce que l’IA peut substituer ce qui est créatif. On est en train de donner un esprit créatif à l’intelligence artificielle. Certains artistes ne pourront plus s’exprimer, parce qu’on aura préféré l’IA. Même au niveau académique, on a déjà des problèmes avec cette technologie. On va être obligé de modifier la manière avec laquelle on évalue les étudiants car ils utilisent ChatGPT. En réalité, ils ont tendance à tout copier sans prêter attention.
Comment peut-on tirer pleinement profit de l’intelligence artificielle aujourd’hui, puisqu’elle s’impose à nous désormais, tout en minimisant ses effets néfastes ?
On a fait la bombe avec l’énergie nucléaire et cela a tué de milliers de personnes. Quel pays occidental peut se passer de l’énergie nucléaire ? C’est une énergie qui ne finit pas ; j’ai envie de dire presque pas. Les pays comme la France, les États-Unis… ne connaissent pas les coupures d’électricité. Le nucléaire permet de produire de l’électricité. Tout est fonction de l’usage. On peut utiliser l’IA pour optimiser les processus ou pour pirater. Je vois l’IA comme un assistant pour faciliter notre travail au quotidien avec l’aide des Chatbots. Pour tirer pleinement profit des outils de l’intelligence artificielle, on doit s’y habituer tout en se formant à sa prise en main. On doit commencer à utiliser les Chatbots.
Sur le continent africain et au Cameroun, les contenus ne sont pas encore en nombre suffisant sur ces nouveaux outils. En quoi l’IA peut-elle impulser le développement ?
C’est vrai qu’il n’y a pas assez de contenus du continent africain sur l’IA. Mais certains pays ont pris le taureau par les cornes. C’est le cas du Maroc. Il veut s’imposer comme leader de l’IA en Afrique. Le Maroc a fait des investissements massifs et a signé un partenariat avec l’entreprise Oracle. L’idée est d’implanter une filiale d’Oracle en Afrique avec pour but de développer l’IA. Certains pays du Maghreb travaillent sur l’intelligence artificielle. L’Afrique du Sud n’est pas en reste. Le problème est au niveau de l’Afrique Sub-saharienne. Il n’y a pas un vrai raz-de-marée. Au niveau du Cameroun, le ministère des Postes et Télécommunications, sensibilise les Camerounais sur l’IA à travers l’organisation des ateliers. Il faudra que la sensibilisation soit plus pratique. Il faudrait que les gens touchent l’IA ; qu’ils aient accès à l’IA. Les gens doivent se former au prompt engineering. On doit savoir comment utiliser des Chatbots. Je pense que c’est de cette manière qu’on va avancer. Il faudra résoudre le problème de connexion si on veut vraiment en tirer profit. Car, certains outils exigent de se connecter à leur maison mère. Il va se poser la question de confidentialité des données. Tout va dépendre de ce que l’on veut faire. Le plan B c’est de localiser les algorithmes. On peut télécharger certains modèles et les héberger en local sans avoir besoin de se connecter.
L’IA a-t-elle de l’avenir au Cameroun ?
L’intelligence artificielle a un grand avenir au Cameroun. Des scientifiques et experts disent que l’intelligence artificielle va faire mieux que la seconde révolution industrielle. Ça va être difficile de se développer sans implémenter des techniques des outils d’un type d’intelligence artificielle. Tous les pays le font. Il va falloir numériser toutes nos données dans les bases de données sous la forme des fichiers Excel etc. L’informatique doit descendre complètement dans presque tout ce que nous faisons. Il va falloir un vrai boom dans les formations, dans les embauches dans tout ce qui concerne l’apprentissage de l’informatique. Deuxième chose, il faut tout numériser. On devra apprendre l’analyse des données… La question de la réadaptation des programmes Universitaires est une exigence aussi. Il faut identifier les secteurs qui ont besoin de l’IA, développer des projets et mettre des étudiants dessus.