L’identité des dirigeants du secteur pétrolier camerounais ayant perçu environ 7 milliards de FCFA de pots-de-vin pour faciliter les activités de la multinationale anglo-suisse Glencore en Afrique, y compris au Cameroun, n’a pas été révélée le 10 septembre 2024 à Londres. Pourtant, le procès relatif à cette affaire de corruption à grande échelle s’est effectivement ouvert ce jour-là devant le tribunal de Westminster.
Selon un communiqué publié en fin de journée de ce 10 septembre par la Société nationale des hydrocarbures (SNH), bras séculier de l’État camerounais dans l’exploration et l’exploitation pétro-gazière, le tribunal de Westminster « s’est déclaré incompétent, au regard de la gravité des charges. Il a renvoyé l’affaire devant le Southwark Crown Court, et prononcé la liberté sous caution des six prévenus (dirigeants et employés de Glencore, NDLR), en attendant la prochaine audience qui se tiendra le 8 octobre prochain ».
La SNH espère donc que cette nouvelle audience permettra de révéler l’identité des Camerounais impliqués, après avoir échoué à obtenir ces informations auprès de Glencore. « C’est le lieu de rappeler que la SNH avait saisi Glencore le 30 mai 2022, dès l’éclatement de cette affaire, puis le 6 juin 2023, après la condamnation de Glencore le 3 novembre 2022, pour qu’elle lui communique les noms des dirigeants de la SNH qui seraient mêlés à cette affaire. Mais Glencore avait opposé un refus à cette requête, prétextant une clause d’anonymat conclue avec le Serious Fraud Office, agence gouvernementale rattachée au procureur général, qui menait l’enquête », rappelle la SNH dans son communiqué du 10 septembre 2024. Elle promet par ailleurs de faire punir par la justice camerounaise « toutes les personnes impliquées dans ces crimes économiques ».
La pression de l’avocat Akéré Muna
Ces bonnes dispositions de la SNH à voir les auteurs de corruption tapis en son sein être sanctionnés, sont à l’opposé de la posture initiale de l’entreprise, dès la révélation de cette affaire au grand public par Me Akéré Muna, ancien bâtonnier de l’Ordre des avocats du Cameroun, homme politique et égérie de la lutte contre la corruption en Afrique. « Il est porté à la connaissance de l’opinion publique nationale et internationale que la SNH n’est ni de loin ni de près, associée à de telles pratiques, strictement interdites par son Règlement intérieur », avait réagi l’administrateur-directeur général (ADG) de la SNH par communiqué publié le 30 mai 2022. Adolphe Moudiki indiquait néanmoins que les autorités américaines et anglaises ont été saisies, en vue de fournir les éléments qui permettraient d’établir la véracité de ces « allégations » contre l’entreprise qu’il dirige depuis 1993.
Mais, après ces dénégations, et surtout après avoir sollicité et obtenu du chef de l’Etat, entre 2023 et 2024, l’ouverture d’une enquête sur l’éventuelle implication des cadres de la SNH dans ce scandale de corruption, Adolphe Moudiki est revenu à la charge le 2 août 2024. « L’administrateur-directeur général de la SNH, le ministre Adolphe Moudiki, porte à la connaissance de l’opinion nationale et internationale que les dirigeants et employés de la société Glencore, auteurs des actes de corruption commis au détriment de la SNH, ont été identifiés, et comparaitront devant le Tribunal de Westminster à Londres, le 10 septembre 2024. Cette information, qui vient d’être rendue publique, marque une avancée significative dans la recherche de la vérité dans cette scabreuse affaire. La SNH, qui a introduit une plainte devant le Tribunal criminel spécial (TCS) le 6 novembre 2023, pour identifier les complices camerounais de ces actes de corruption, est confiante que l’issue de la procédure à Londres permettra l’accélération des enquêtes au niveau du TCS », peut-on lire dans un communiqué publié ce jour-là.
7 milliards de FCFA de pots-de vin
Une sortie qui n’avait pas laissé indifférent l’avocat Akéré Muna. « « J’ai lu le communiqué de presse de la SNH et le trouve plutôt absurde. Lorsque j’ai exposé le scandale de corruption de Glencore il y a plus de deux ans, la SNH a prétendu qu’il ne pouvait y avoir aucune corruption, car elle était interdite par leurs règlements intérieurs. Maintenant, quand le Serious Fraud Office du Royaume-Uni rend publics des noms des anciens employés de Glencore inculpés pour corruption, nous sommes informés par un communiqué qu’une plainte a été déposée en septembre 2023. (…) Ils se dépêchent maintenant de nous informer d’une plainte déposée l’année dernière, peut-être en raison de la révélation imminente des noms par les tribunaux anglais. Contre qui est la plainte et quelles sont les allégations ? (…) L’accord de plaidoyer avec le département de la justice des États-Unis exige que Glencore coopère pleinement avec les autorités d’enquête camerounaises. Par conséquent, la SNH devrait suspendre toutes les transactions avec Glencore, en raison de leur corruption avouée, et les contraindre à révéler leurs complices camerounais », peste-t-il. Cette dernière préoccupation de l’avocat trouve cependant un écho dans le communiqué de la SNH du 10 septembre 2024. « Depuis la révélation de cette affaire, en mai 2022, la SNH a gelé toutes ses activités avec Glencore, aussi bien dans le domaine de l’exploration-production, qu’au plan commercial », apprend-on.
Pour bien comprendre cette affaire, il faut remonter à fin 2022. En effet, le 3 novembre de cette année-là, la justice britannique condamne Glencore à une amende de 276 millions de livres sterling (162,73 milliards de FCFA), après que cette entreprise ait plaidé coupable pour des actes de corruption, en vue d’obtenir des contrats pétroliers dans cinq pays africains, dont le Cameroun. « La corruption faisait clairement partie de la culture d’un certain nombre de membres du personnel du bureau d’Afrique de l’Ouest. Les chefs d’accusation représentent une infraction sophistiquée, qui a eu lieu sur des périodes prolongées se mesurant en années », commente alors le juge Peter Fraser de la Southwark Crown Court de Londres.
En effet, comparaissant devant la justice britannique en mai 2022, Glencore a avoué avoir effectué environ 79,6 millions de dollars (environ 50 milliards de FCFA) de paiements à des sociétés intermédiaires, afin d’obtenir des avantages indus et conserver des contrats avec des entités publiques et contrôlées par l’État dans certains pays d’Afrique : Nigeria, Cameroun, Côte d’Ivoire, Guinée équatoriale et Soudan du Sud. Selon la déclaration faite par un avocat de la multinationale anglo-suisse le 24 mai 2022, ce sont environ 7 milliards de FCFA de pots-de-vin qui auraient été versés à des responsables de la Société nationale des hydrocarbures (SNH) et de la Société nationale de raffinage (Sonara), afin de favoriser les opérations de Glencore au Cameroun.
Brice R. Mbodiam
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