La décision de la Banque mondiale de mettre fin au Projet pour l’autonomisation des femmes et le dividende démographique au Sahel (Swedd, en anglais) remonte à plusieurs mois. Mais, c’est seulement le 18 décembre 2024 que l’institution de Bretton Woods a formellement notifié les autorités camerounaises à travers une correspondance de Cheick Fantamady Kanté, le directeur des opérations de la Banque mondiale pour le Cameroun, adressée à Alamine Ousmane Mey, le ministre camerounais de l’Économie. « J’ai l’honneur de porter à votre attention que la date de clôture (…) est prévue le 31 décembre 2024 », précise Cheick Fantamady dans cette lettre consultée par Investir au Cameroun.
Faible niveau des décaissements
La Banque mondiale ne cache pas les raisons qui l’ont poussé à mettre un terme au projet mis en œuvre dans les trois régions septentrionales du Cameroun (Adamaoua, Nord et Extrême-Nord). En premier lieu, le faible niveau des décaissements a joué en défaveur du pays. Selon un rapport publié à l’issue d’une mission de la Banque mondiale ayant séjourné au Cameroun du 16 au 23 février 2024, le taux de décaissement des crédits n’était que de 8,3 %. À cette date, seuls 5,7 millions de dollars (environ 3,6 milliards de FCFA) avaient été décaissés sur un montant total de 75 millions de dollars (plus de 45 milliards de FCFA) mis à disposition.
La mission a estimé que ce chiffre était beaucoup trop bas. Cette même mission a d’ailleurs fait remarquer que le projet Swedd au Cameroun n’est pas parvenu à impacter les populations bénéficiaires, les femmes des régions du Grand-Nord. Les experts de la Banque mondiale estiment même que les progrès dans la mise en œuvre globale du projet sont « insatisfaisants ».
Le management d’Alphonse Glory Mbah Ngami, coordonnateur national du projet, est mis en cause. En effet, la Banque mondiale souligne que parmi les 16 pays africains où le projet Swedd est implémenté, l’équipe du Cameroun est la plus pléthorique. Ce sureffectif a considérablement alourdi le budget de fonctionnement, tout en compromettant l’efficacité opérationnelle. Ainsi, le rapport de la mission menée en février dernier révèle que presque tous les indicateurs sont au rouge, à l’exception de celui relatif à la formation des sages-femmes. De plus, certaines parties prenantes, notamment des enseignants, se plaignent de n’avoir jamais été payés après avoir travaillé pour le projet dans le cadre des cours de mise à niveau des bénéficiaires.
Les recommandations formulées par les experts de la Banque mondiale lors de la mission de février 2024 n’ont pas permis d’améliorer la consommation des crédits alloués au projet Swedd Cameroun. Un exemple frappant de cette situation concerne la période du 1ᵉʳ juillet au 31 décembre 2024, pour laquelle un décaissement de 2,5 milliards de FCFA était prévu. Parmi les dépenses envisagées figurait le paiement d’un Mémorandum d’entente (MoU) avec l’Unicef, destiné à l’achat de véhicules pour un montant de 308,3 millions de FCFA (512 336 USD). Cependant, à la date du 18 décembre 2024, lorsque la Banque mondiale a informé le ministère de l’Économie (Minepat), aucun véhicule n’avait encore été réceptionné. De plus, d’autres acquisitions planifiées, telles que les véhicules utilitaires destinés à servir de cliniques mobiles ou les voitures podium pour les campagnes de sensibilisation de masse, n’avaient toujours pas été livrées. À cela s’ajoutent des projets d’achat comme le matériel informatique destiné à équiper les 15 écoles de formation des sages-femmes, d’une valeur de 549 millions de FCFA via l’Unicef, ou encore l’acquisition de motos pour environ 167 millions de FCFA, qui n’ont jamais été réalisés.
Période de grâce
La Banque mondiale a accordé une période de grâce de quatre mois, qui prend fin le 30 avril 2025, pour permettre au management du projet d’« effectuer les paiements éligibles ». Et, « toute dépense qui ne serait pas correctement payée pendant la période de grâce sera inéligible et devra par conséquent être prise en charge par le gouvernement », précise Cheick Fantamady Kanté dans une correspondance datée du 23 décembre 2024 et adressée, une fois encore, au ministre de l’Économie. On apprend que c’est le gouvernement camerounais qui va prendre en charge les dépenses de fonctionnement pendant ces quatre mois.
Implémenté en Afrique depuis 2015, le projet Swedd devait démarrer au Cameroun en 2020 pour une durée de quatre ans. Toutefois, des retards liés à la « maturité des crédits » ont repoussé le lancement officiel à 2022. L’accord de financement a été signé le 12 octobre 2021 et le projet a réellement débuté le 8 février 2022.
Ludovic Amara
- Politiques économiques