Au sortir de la Conférence extraordinaire des chefs d’État de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac), convoquée en urgence le 16 décembre 2024 à Yaoundé, les chefs d’État de la sous-région ont adopté un train de mesures visant à éviter une crise économique et financière. Parmi les résolutions prises, l’on retrouve notamment celles visant à faire remonter le volume des avoirs extérieurs en devises, qui permettent aux pays de la Cemac (Cameroun, Congo, Gabon, Guinée équatoriale, Tchad et RCA) d’assurer solidairement leurs importations de biens et services. « Le niveau des réserves devrait se situer autour de 4,6 mois et 4,2 mois, respectivement en 2024 et 2025. En l’absence de réformes soutenues par l’ensemble des pays de la Cemac, le ratio de couverture des réserves pourrait se détériorer pour s’établir à environ 3 mois d’importations des biens et services dans les cinq prochaines années », peut-on lire dans le dossier de presse élaboré à l’occasion de la rencontre de Yaoundé.
En effet, apprend-on de bonnes sources, le niveau actuel des avoirs en devises des pays de la Cemac intègre les appuis budgétaires jusqu’ici reçus par le Congo, le Cameroun et la RCA dans le cadre de leurs programmes respectifs avec le FMI. Hors appuis budgétaires de cette institution financière internationale, ces réserves, qui affichent de surcroît une tendance baissière depuis 2023, ne représenteraient que 2,1 mois d’importations, pour un seuil de tolérance de quatre mois. De ce point de vue, la perspective de la fin des programmes avec le FMI dès 2025, pour certains pays actuellement sous programme, et dont le corollaire est la fin des appuis budgétaires, est inquiétante.
En tout cas, pour inverser la tendance baissière de leurs avoirs extérieurs, les chefs d’État de la Cemac souhaitent d’abord voir les partenaires au développement, notamment le FMI, « œuvrer pour la conclusion des revues de leurs accords avec la République du Cameroun, la République centrafricaine et la République du Congo». Par ailleurs, ils invitent les trois autres pays de la Cemac qui ne sont pas encore sous programme avec cette institution de Bretton Woods, de le faire « dès que possible » pour pouvoir également bénéficier des conseils et des appuis budgétaires. Mais, dans l’immédiat, la conclusion des dernières revues entre le FMI et le Cameroun, la RCA et le Congo induira le décaissement de nouveaux appuis budgétaires au profit de ces pays. Ce qui devrait contribuer à remonter le niveau actuel des réserves de change des pays de la sous-région.
Sur ce registre de l’accroissement des avoirs en devises, les chefs d’État de la Cemac réaffirment leur engagement pour une « application intégrale de la réglementation de change, notamment à travers le rapatriement diligent des devises par les opérateurs économiques, et plus particulièrement la signature, avant le 30 avril 2025, des conventions de compte séquestre pour les fonds de restauration des sites par les entreprises extractives (pétrolières et minières)». En effet, la nouvelle réglementation de change, entrée en vigueur depuis mars 2019, oblige les opérateurs économiques de la Cemac à rapatrier dans la sous-région 70% de leurs recettes d’exportation. Ce que ces derniers ne se pressent pas toujours de faire sous divers prétextes, apprend-on de sources autorisées.
Le casse-tête des sociétés du secteur extractif
Les opérateurs du secteur extractif, auxquels le nouveau règlement n’est opposable que depuis le 1ᵉʳ janvier 2022, en raison de concessions qui leur ont été faites dans le cadre de la mise en œuvre de la réglementation de change, sont également tenus de rapatrier à la banque centrale des pays de la Cemac (BEAC) « au moins 35% » de leurs recettes d’exportation. Ici encore, beaucoup traînent le pas. À la banque centrale, des sources autorisées avancent une proportion de seulement 35% de recettes effectivement rapatriées, rendu en fin d’année 2024.
Par ailleurs, alors que la réglementation de change impose aux entreprises du secteur extractif le rapatriement intégral des fonds destinés à la réhabilitation des sites miniers en fin d’exploitation (ils sont actuellement logés dans des comptes à l’étranger en raison des taux d’intérêts attractifs, NDLR), dans un délai de 3 ans à compter du 1er janvier 2022, les sociétés extractives ont réussi à négocier, au cours d’une rencontre avec les responsables de la BEAC le 23 octobre 2024 à Washington, une prorogation du délai de mise en œuvre de cette exigence jusqu’au mois d’avril 2025. La résolution prise par les chefs d’État de la Cemac lors du sommet du 16 décembre 2024 à Yaoundé vise à ne plus proroger ce délai, de manière à pouvoir effectivement capter les centaines de millions de dollars en devises attendus de ces fonds, pour doper le volume de réserves de change de la sous-région.
Outre la consolidation des avoirs en devises, les chefs d’État de la Cemac préconisent des mesures pour éviter d’aggraver les difficultés du secteur bancaire de la sous-région, déjà fragile. En effet, en plus de ce que les créances en souffrance sont en hausse dans la zone Cemac (+11% au Cameroun à fin juin 2024, première économie de la Cemac, NDLR), et que 40% des banques ne respectent pas le ratio de couverture du risque par les fonds propres, ces dernières pourraient bientôt faire face à une pression sur leur liquidité. En raison du projet de rééchelonnement, sur 10 ans, de la dette de 2314 milliards de FCFA contractée par le Congo sur le marché des titres publics géré par la BEAC. Il faut rappeler que ce sont les banques qui agissent comme spécialistes en valeurs du trésor (SVT) sur ce marché. De ce fait, elles y effectuent des placements pour leur propre compte ou alors pour le compte de leur clientèle. Officiellement, ces banques détiennent actuellement jusqu’à 80% des titres émis sur ce marché.
Le pari d’un endettement prudent
Pour éviter l’accroissement des difficultés du secteur bancaire, la Conférence des chefs d’État du 16 décembre 2024 enjoint « les États et les institutions communautaires à prendre des mesures pour une gestion de l’exposition des banques aux risques souverains, conformément aux critères de la surveillance multilatérale ». Cette prescription des chefs d’État de la Cemac rejoint une récente décision de la Commission bancaire de l’Afrique centrale (Cobac), qui enjoint les banques de cesser d’appliquer le taux de pondération nulle pour les emprunts des États, mais plutôt des taux de pondération respectifs de 90% pour le Cameroun et le Tchad, 85% pour la RCA et la Guinée équatoriale, 80% pour le Congo, et 100% pour le Gabon. Cette mesure de la Cobac, que semblent entériner les chefs d’État de la Cemac, devrait davantage durcir les emprunts sur le marché sous-régional des titres publics, devenu une importante source de financement pour les six pays de la Cemac.
Afin de freiner la spirale de l’endettement, pour lequel certains pays de la Cemac dépassent le seuil de tolérance de 70 % du PIB prescrit par les critères de surveillance de la communauté, les chefs d’État de la sous-région, au sortir de la rencontre de Yaoundé, ont « renouvelé l’engagement des États en faveur d’une politique d’endettement prudente, privilégiant les financements concessionnels ». Ceux-ci sont en effet moins onéreux que les emprunts sur le marché sous-régional ou international des capitaux, sur lesquels les taux d’intérêts pratiqués obéissent davantage à la conjoncture du marché.
Selon le président Biya du Cameroun, toutes ces « mesures de redressement doivent être mises en œuvre en urgence… ». « Dans ce contexte particulièrement difficile, notre communauté constitue un atout que nous devons préserver et renforcer. Ce n’est qu’ensemble que nous pouvons surmonter les difficultés actuelles et bâtir de meilleures perspectives économiques et sociales pour nos États et nos populations », a plaidé Paul Biya dans son allocution de clôture de la rencontre de Yaoundé.
Brice R. Mbodiam
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