Décidément, le Parti Camerounais pour la réconciliation nationale (Pcrn) aime faire le buzz. Le dernier en date remonte à cette passe d’armes entre le président de ce parti et un député du même parti qui s’étripent sur la place publique. Cela annonce-t-il un printemps gris?
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Cabral Libii, le président national du Parti national pour la réconciliation du Cameroun (Pcrn) serait-il un dictateur éclairé ? La question taraude les esprits de nombreux observateurs qui ont scruté la sortie de Cabral Libii en réaction à un post de la députée Nourane Foster au sortir de la présentation des vœux à la Première Dame du Cameroun, Chantal Biya, le 11 janvier dernier. Dans son post devenu viral sur la toile, elle indique au sujet de Chantal Biya : « Une personne exceptionnelle qui déborde d’énergie positive et de convivialité. Sa beauté, son instinct maternel et son grand cœur en font un exemple à suivre, tant dans la vie sociale que conjugale. C’est une épouse exceptionnelle ». A quelques mois de l’élection présidentielle, Cabral Libii, le leader du Pcrn qui sera candidat à cette élection, n’est pas resté indifférent. Dans un post à la saveur ironique, il a tenté de recadrer sa camarade de parti et collègue à l’Assemblée nationale : « Difficile de faire mieux…ou pire ».
Procédure disciplinaire
Suffisant pour que la toile s’enflamme pour animer la polémique et susciter plusieurs réactions. Si certains pensent que la députée a fait une énième sortie de piste dans sa communication, d’autres voient à travers la réaction de Cabral une volonté de jeter sa camarade à la vindicte populaire. Visiblement, les propos dithyrambiques de Nourane Moluh Hassana de son vrai nom sur la Première Dame, Chantal Biya, passent mal au sein de sa famille politique, le Parti camerounais pour la réconciliation nationale (Pcrn). Depuis sa publication sur sa page Facebook, Nourane Foster est devenue une cible de choix sur les réseaux sociaux. Une militante de sa famille politique l’a même comparée à un serpent à deux têtes, allusion à son ascendance bamoun, avant de s’empresser de s’excuser auprès de l’élue. Certains des cadres du Pcrn qui se sont gardés de participer à cette lapidation sur les réseaux sociaux, confient toutefois que ce dérapage de l’élue va intéresser le Comité d’éthique et de surveillance (Ces) du parti. Officiellement, Nourane Foster ne fait pas encore l’objet d’une procédure disciplinaire. Pour en arriver là, le Ces doit tout d’abord formellement se saisir de l’affaire. Si le rapport de cette instance accable suffisamment la députée, l’affaire sera alors portée à l’attention de la Commission de discipline. C’est cette commission qui s’était prononcé en mars 2024 sur l’exclusion de Robert Kona, l’ancien président du Pcrn qui conteste le leadership de Cabral Libii. Reste à savoir si Nourane Foster va connaître le même sort. On n’en est pas encore là. Mais rien ne le laisse penser en tout cas, même si la virulence des réactions de certains cadres de ce parti d’opposition laisse penser que Nourane Foster risque gros.
A la suite de la réaction de Cabral Libii, William Bayiha avoue qu’il s’est senti trahi en découvrant cette photo qui montre Nourane Foster posant fièrement aux côtés de Chantal Biya lors de la cérémonie de présentation des vœux de nouvel an à la Première Dame. Cet ancien journaliste d’Africanews présenté comme un proche conseiller de Cabral Libii, offre une analyse personnelle sur cette affaire, qui continue de défrayer la chronique. « Notre étonnement vise à comprendre comment une élue de ce niveau, sachant la distance idéologique et politique qui nous sépare de ce régime dont le dénominateur commun est la jouissance peut trouver des mots pour saluer la personne de madame Chantal Biya, dont le mode de vie et les habitudes tranchent avec le projet de société du Pcrn », s’interroge-t-il. Au-delà de ce reproche, la nomenklatura du Pcrn craint surtout que les propos flatteurs de Nourane Foster viennent réveiller la vieille polémique sur la proximité entre Cabral Libii et le pouvoir de Yaoundé, à quelques mois de la prochaine élection présidentielle.
Il est évident que Cabral Libii est mal à l’aise à chaque fois qu’on le présente comme un suppôt du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc), le parti au pouvoir. C’est bien pour cette raison que le Pcrn a travaillé ces dernières années à construire la distance avec le pouvoir de Paul Biya. C’est davantage à l’Assemblé nationale, où le parti compte cinq députés avec pour chef de file Cabral Libii, que cette distance a le plus été médiatisée. Les élus du Pcrn n’ont jamais manqué l’occasion de prendre le gouvernement à contre-pied. C’est le cas de Nourane Foster elle-même, qui, on se souvient, avait pris la parole dans l’Hémicycle pour demander au gouvernement de faire participer les populations dans le plan de reconstruction des régions du Nord-Ouest et du SudOuest en crise.
Membres du sérail
Le Pcrn ne s’est jamais privé d’amender un projet de loi arrivé sur la table des députés, la loi de finances en particulier. Les élus de ce parti sont même allés jusqu’à bloquer une plénière pour se plaindre de l’arrivée tardive du projet de loi de finances au Parlement. Autant d’actions censées clore la polémique sur la proximité entre le Pcrn et le pouvoir en cette année électorale. Une assurance teinte depuis la sortie de Nourane Foster. C’est bien pourquoi William Bayiha dénonce pour cela une « communication problématique dans le contexte politique camerounais en année électorale ». Officiellement, le Pcrn n’a pas communiqué sa position officielle sur cette affaire. Des responsables du secrétariat général du parti se sont contentés de comparer celle-ci à un « fait divers ». En clair, le Pcrn a choisi de se concentrer sur l’élection présidentielle. Cabral Libii, qui avait terminé troisième en 2018 derrière Paul Biya et Maurice Kamto, est de nouveau candidat. Il a déjà constitué l’équipe qui va animer sa campagne le moment venu. Et depuis le début de l’année, il s’investit à encourager les jeunes à aller s’inscrire sur les listes électorales. Cabral Libii n’a jamais caché son ambition de diriger le Cameroun. Ses équipes répètent à qui veut l’entendre que l’heure est venue d’envoyer Paul Biya à la retraite. Pour y arriver, leur candidat aura besoin de soutiens comme en 2018.
Selon de nombreuses confidences, Nourane Foster a gagné en grade dans ce parti d’opposition parce qu’elle a activement participé à la campagne de Cabral Libii à Douala pendant la dernière présidentielle. Est-ce qu’elle fait toujours partie de l’équation cette année ? Il faut sans doute attendre pour le savoir. Seulement, sur les accointances supposées ou vrai de Cabral Libii avec des membres du sérail dont de nombreux ministres, il ne s’est jamais publiquement prononcé là-dessus, si non en refusant les invitations au Palais de l’unité. D’où cette question, n’était-il pas au courant de l’invitation de Nourane Foster aux vœux de la Première Dame ? Ce qui est impensable dans un parti qui se respecte. Preuve que le dialogue n’est pas la chose la mieux partagée dans cette formation politique où le président, comme tous les autres se comporte comme un petit roi. Affaire à suivre.
Le Point Bihebdo | N° 640 du mardi 21 janvier 2024
