Lire ci-dessous son analyse :
Comment l’abstentionnisme de 2018, les nouveaux électeurs et les mécontents du système pourraient bouleverser la présidentielle ? L’élection présidentielle du 12 octobre 2025 s’annonce comme une échéance palpitante et la plus importante dans l’histoire politique du pays. Avec 8 219 210 électeurs inscrits (contre 6 667 754 en 2018), dont 4,6 millions d’abstentionnistes en 2018 et 1,55 million de nouveaux inscrits, le scrutin pourrait être marqué par une recomposition inédite des forces politiques.
- Le poids des abstentionnistes et des nouveaux électeurs : une bombe à retardement
Les 4,6 millions d’abstentionnistes de 2018 et nouveaux inscrits entre 2018 et juin 2025. En 2018, seulement 3,6 millions de votants sur 6,7 millions d’inscrits avaient participé à l’élection, permettant à Paul Biya de l’emporter avec 2,5 millions de voix. Les 4,6 millions d’abstentionnistes représentaient alors un électorat désillusionné, mais leur mobilisation en 2025 pourrait être décisive.
Plusieurs facteurs expliquent cette abstention massive :
– Défiance envers le processus électoral, perçu comme verrouillé en faveur du RDPC .
– Manque de crédibilité des alternatives, malgré une opposition brouillante et parfois extrêmiste et violente.
– Problèmes logistiques, comme l’inaccessibilité des listes électorales sur le site d’ELECAM .
Si une fraction de ces abstentionnistes (par exemple 30 %, soit 1,4 million) se mobilise en 2025, elle pourrait suffire à inverser le résultat de 2018, d’autant que Biya n’avait besoin que de 2,5 millions de voix pour l’emporter.
Les 1,55 million de nouveaux électeurs : la jeunesse en quête de changement
L’électorat jeune (moins de 40 ans) représente une force montante :
– 72 % de la population a moins de 35 ans, et le taux de chômage des jeunes atteint 74 %.
– Seulement 44 % des jeunes en âge de voter étaient inscrits en 2024, mais les inscriptions ont bondi en 2025, signe d’un regain d’intérêt .
– Les jeunes rejettent le tribalisme et les promesses non tenues.
Ces nouveaux électeurs, s’ils votent massivement contre le régime, pourraient ajouter près d’un million de voix à l’opposition.
- Les fractures internes à la majorité présidentielle et la révolte de certains cadres politiques des bastions traditionnels du Grand Nord
Deux figures majeures ont récemment quitté le gouvernement pour se présenter contre Paul Biya :
– Bello Bouba Maigari (UNDP), ancien Premier ministre et ministre du Tourisme, dont le parti dispose d’un réseau d’élus locaux et parlementaires .
– Issa Tchiroma Bakary (FNSC), ex-porte-parole du gouvernement, symbole de la défection des cadres du Nord .
L’UNDP, désormais principal parti d’opposition en termes d’élus, pourrait capter une partie de l’électorat septentrional, traditionnellement acquis à Biya.
La colère de l’Extrême-Nord
L’Extrême-Nord, bastion historique du RDPC, montre des signes de défection :
– Taux de pauvreté à 69 % dans l’Extrême-Nord, où les populations rejettent leurs élites accusées de complaisance envers Yaoundé .
– Mobilisation contre Biya: Des rassemblements pro-Biya, comme celui de Maroua en mai 2025, ont été dénoncés comme des « mascarades » par des observateurs locaux .
Cette défection pourrait priver le RDPC de centaines de milliers de voix.
- La jeunesse politique en crise : les sympathisants jeunes démobilisée
Les jeunes du RDPC (OJRDPC) expriment ouvertement leur frustration :
– Sous-représentation dans les instances décisionnelles, malgré leur rôle clé dans les mobilisations.
– Chômage et népotisme: Les jeunes dénoncent les promotions basées sur le tribalisme ou les réseaux familiaux ou sectaires.
– Appels au changement: Certains militants, comme Léon Theiller Onana, contestent l’absence de congrès du RDPC depuis 2011 et la candidature de Paul Biya.
Cette démobilisation pourrait réduire l’efficacité sur le terrain du RDPC dans plusieurs localités critiques clés, pourtant réputé comme machine électorale.
- L’opposition : entre divisions, tribalisme et espoir d’un front commun
Pas de coalition derrière Kamto ni Bello Bouba, mais des alliances émergentes
Contrairement aux rumeurs, Maurice Kamto (MRC) ne dirigera pas une coalition, et peut même être disqualifié par le conseil constitutionnel, résultat de ses errements politique de 2020, mais des initiatives se dessinent :
– Six partis d’opposition (dont le FSNC et l’UDC) ont signé un pacte pour un candidat consensuel le 5 juillet 2025.
– L’UNDP de Bello Bouba et le FNSC d’Issa Tchiroma pourraient jouer un rôle pivot, grâce à leur ancrage territorial dans le septentrion, ainsi que dans une bonne partie de la région de l’est.
– Mais le scénario le plus à risque pour le RDPC est l’émergence d’un candidat surprise, issu du gouvernement et adoubé par ces deux partis démissionnaires de la majorité présidentielle.
La bataille pour les jeunes
Les opposants rivalisent pour séduire la jeunesse :
– Cabral Libii (44 ans) se présente comme l’alternative jeune : « Une personne âgée de 70, 80 ou 90 ans ne saura jamais défendre les jeunes comme un jeune ».
– Serge Espoir Matomba mise sur un programme axé sur l’emploi des jeunes. Mais son discours ambigu sur l’homosexualité répugne la jeunesse majoritairement réactionnaire.
Il faut cependant avouer que Cabral Libii et Matomba n’ont jamais reussi à mobiliser la jeunesse au-delà de certains arrondissements de la ville de Douala et dans le Nyong et Kelle, car accusés à tord ou à raison, d’être des satellites du pouvoir et très proche des barons du régime.
Un scrutin à haut risque cependant
Avec 8,2 millions d’inscrits, dont près de 6,2 millions n’ayant pas voté pour Paul Biya en 2018 (abstentionnistes + nouveaux électeurs), le président sortant doit composer avec :
- La mobilisation des abstentionnistes et des jeunes, en colère contre la mal gouvernance, le chômage et le népotisme.
- La défection des cadres des bastions du Nord, où la pauvreté alimente la révolte.
- Les divisions au sein des sympathisants du système, notamment chez les jeunes militants.
Si l’opposition parvient à unir ses forces autour d’un candidat unique ou majoritaire, candidat surprise et crédible, elle pourrait exploiter ces failles. Mais le régime conserve des atouts : maillage territorial, capacité de contenter les révoltés et une opposition encore fragmentée et égocentrique aux allures identitaires.