
Un seul consensus sur les deux attendus a finalement émergé de la troisième et dernière réunion du groupe de travail mis en place par le gouverneur de la Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC), chargé d’examiner la supervision des Caisses de dépôts et consignations (CDC) et la gestion des avoirs en déshérence dans la zone Cemac (Cameroun, Congo, Gabon, Guinée équatoriale, Tchad et RCA).
À l’issue des travaux, les différentes parties sont conservées campées sur des positions divergentes concernant la supervision des CDC par la Commission bancaire de l’Afrique centrale (Cobac), le régulateur du secteur bancaire dans la sous-région.
Les CDC du Cameroun et du Gabon, seules institutions de ce type actuellement opérationnelles dans la Cemac, s’opposent à une supervision totale par la Cobac. Elles privilégient une surveillance limitée uniquement à leurs activités bancaires. À l’inverse, la BEAC et la Cobac soutiennent un encadrement intégral.
« Au terme des échanges fructueux et constructifs, marquant la fin des travaux de ce groupe, un consensus s’est dégagé sur la pertinence et la qualité de l’avant-projet de texte relatif à la gestion des comptes inactifs et des avoirs en déshérence ; tandis qu’au détriment de la majorité, les deux CDC en activité se sont dites opposées à celui relatif à la supervision totale de leurs activités par la Cobac, privilégiant une supervision partielle, limitée à leurs activités bancaires » , a déclaré le gouverneur de la BEAC, le Centrafricain Yvon Sana Bangui, dans un communiqué officiel publié à l’issue de la rencontre.
Les raisons d’une friction
Dans un communiqué publié le 17 avril 2025, la Caisse des dépôts et consignations du Cameroun (CDEC) confirme la persistance des divergences, vieilles de plusieurs mois, entre les parties sur la question de la supervision de ses activités par la Commission bancaire de l’Afrique centrale (Cobac). L’institution dirigée par Richard Evina Obam souligne qu’au cours des travaux, « en dépit de la position constante et harmonisée » des CDC du Cameroun et du Gabon, « la BEAC et la Cobac ont continué d’éluder les problématiques fondamentales soulevées par les CDC ».
Parmi ces préoccupations, la CDEC cite notamment l’absence de fondement juridique des actions de la Cobac, la souveraineté des États membres en matière d’organisation et de gestion de leurs services publics, ou encore le non-assujettissement des comptables des Trésors publics à la Cobac. Sont également évoqués : le contrôle des deniers publics et privés par la Cobac, la capacité des États membres à se doter d’outils alternatifs de financement, l’absence d’études et de données chiffrées justifiant le risque systémique allégué, ainsi que la discrimination dont l’État du Cameroun s’inquiéterait victime.
En ce qui concerne la « discrimination dont l’État du Cameroun est victime », la CDEC pointe une différence de traitement manifeste entre les deux CDC actuellement actives dans la zone Cemac. En effet, la Caisse des dépôts et consignations du Gabon, créée en 2010 et opérationnelle depuis 2012, a fonctionné sans encombre pendant plus d’une décennie, sans la moindre objection de la BEAC, de la Cobac ou des banques commerciales. Cette institution publique a notamment été dirigée, entre 2019 et février 2024, par Patricia Danielle Manon, aujourd’hui secrétaire générale adjointe de la Cobac.
Pour illustrer sa stabilité, la CDEC rappelle qu’au 30 septembre 2018, la CDC gabonaise affichait un bilan total de 298 milliards de FCFA, un portefeuille d’actifs de 105 milliards de FCFA et un bénéfice annuel moyen de 3,2 milliards de FCFA. Autant d’indicateurs de performance qui, selon l’institution camerounaise, n’ont jamais soulevé de controverse quant à la supervision exercée — ou non — par la Cobac.
L’entrée en jeu de la Cobac
Il aura fallu attendre l’entrée en activité de la Caisse des dépôts et consignations du Cameroun (CDEC), en janvier 2023 — soit onze ans après l’opérationnalisation de l’entité gabonaise — pour que la situation se crispe. Banquiers, Cobac et BEAC (dont le gouverneur est par ailleurs président de la Cobac, NDLR) se sont montrés hostiles, notamment sur la question du transfert des avoirs dévolus à la CDEC. Face à la réticence persistante des banques, et après plusieurs mois de négociations, le gouvernement camerounais, invoquant sa souveraineté, a fixé une date butoir au 1er juin 2024 pour que toutes les banques et institutions assujetties s’exécutent.
Cette décision a été partiellement suivie. Plusieurs établissements bancaires, compagnies d’assurances, ainsi que la direction nationale de la BEAC pour le Cameroun — qui a transféré 3,9 milliards de FCFA à la CDEC le 29 mai 2024 (NDLR) — se sont conformés à la directive. D’autres en revanche persistent dans leur résistance. Ces dernières avancent notamment la nécessité, pour la CDEC, de clarifier au préalable les modalités de gestion et de contrôle desdits fonds avant tout transfert.
Les banques réfractaires ont reçu un appui de taille en juillet 2024, celui du régulateur de leurs activités. Dans une correspondance datée du 11 juillet 2024, adressée au directeur général de la CDEC, Richard Evina Obam, avec ampliations à l’Association professionnelle des établissements de crédit du Cameroun (Apeccam) et à l’Association nationale des établissements de microfinance du Cameroun (Anemcam), le secrétaire général de la Cobac, le Congolais Marcel Ondélé, demande aux établissements assujettis de suspendre temporairement le transfert des avoirs en déshérence à la CDEC.
Ces avoirs désignent les fonds et valeurs qui n’ont pas été réclamés par leurs titulaires depuis une longue période, et qui sont normalement destinés à être transférés à une institution publique dédiée à leur gestion. Pour justifier cette demande de suspension, le régulateur invoque l’absence d’un cadre réglementaire communautaire clairement défini encadrant ces transferts dans l’espace Cemac, « hormis des règles relatives au traitement comptable de ces avoirs ».
Tentative de passage en force
C’est justement le corpus réglementaire communautaire proposé par la Cobac qui est au cœur des échanges au sein du groupe de travail mis en place par le gouverneur de la BEAC. La dernière séance de ce groupe s’est tenue le 15 avril 2025, sans qu’un accord ne soit trouvé sur la question centrale de la supervision des activités des CDC par la Cobac. « Les versions révisées de ces documents, intégrant les ultimes propositions des membres, seront finalisées et présentées aux différentes instances communautaires compétentes de la Cemac, pour décision », indique Yvon Sana Bangui dans le communiqué publié à l’issue de la réunion.
Du point de vue des CDC du Cameroun et du Gabon, la BEAC et la Cobac cherchent simplement à forcer la main. Elles dénoncent « un passage en force, en présentant leurs avant-projets à l’arbitrage du Comité ministériel de l’Umac (Union monétaire de l’Afrique centrale) », seule instance désormais habilitée à trancher définitivement.
Brice R. Mbodiam
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