Des statistiques issues du guichet de la Banque centrale nous apprennent que depuis 2020, le solde des opérations économiques du Cameroun a même atteint un pic négatif de plus de 1 600 milliards de francs.
Pour Pierre Emmanuel Nkoa Ayissi, directeur national de la BEACCameroun « Nous sommes le seul pays, pratiquement sur la durée, à être négatif ». En clair, il y a nettement plus de sorties de devises que d’entrées de devises au guichet de la Banque centrale, pour les opérations qui sont faites à la direction nationale pour le Cameroun comparé à ce qui est fait dans d’autres pays de la zone Cemac. « La moyenne que nous avons calculée sur la période de 2020 à 2024, notamment en 2023, est de moins 800 milliards de francs. Moins 800 milliards de francs tous les ans, en moyenne, au Cameroun », appuie Nkoa Ayissi. De l’avis des experts, le Cameroun fait office de mouton noir en la matière en zone CEMAC. Au guichet de la Banque centrale, la République Centrafricaine (RCA) s’en tire avec plus de 121 milliards de solde négatif en flux annuel de devises. Le Congo est à plus 152 milliards, le Gabon, plus 139 milliards, la Guinée équatoriale, plus 181 milliards et le Tchad, plus 87 milliards.
Compétitivité et règles de change
Comment expliquer ce déficit criard et cette disparité par rapport à d’autres zones économiques du continent ? « Il y a un problème de compétitivité dans la CEMAC. Dans l’UMOA vous avez un compétiteur qui peut avoir son transfert de fonds fait en 24 heures comme ailleurs, mais nous, a la CEMAC, on nous demande 10 documents, 30 à nos fournisseurs, ça va prendre 2 semaines ou 3 jours. C’est un problème de compétitivité que nous vivons qui est extrêmement important « , s’est plaint Emmanuel Wafo, Directeur Général de MIT Chimie lors de la 3e édition de la Finance Week du journal EcoMatin « La Banque centrale, pour répondre particulièrement à la question, a fait des dérogations sur les procédures d’importation avec des domiciliations a posteriori, des vérifications a posteriori. Et la Banque centrale est allée plus loin sur les rapatriements. […] Nous avons développé l’application e-transfer pour permettre aux banques d’avoir l’information sur les différents dossiers lorsqu’ils sont transmis à la Banque centrale. Mais également, à travers le volet e-tracking, aux entreprises d’avoir l’information sur chacun de leurs dossiers… » réplique, Joseph Henri Ikorinà Yombo, directeur central à la BEAC.
Le rapatriement insuffisant des recettes d’exportation
Outre ce problème de compétitivité des procédures de change, plusieurs autres facteurs contribuent à cette fuite massive de devises au Cameroun. On peut d’emblée citer le rapatriement insuffisant des recettes d’exportation. Bien que le Cameroun ait enregistré un rapatriement de 644 milliards de FCFA en 2019, le suivi et la mise en œuvre de mesures pour un rapatriement effectif restent un défi. L’importation massive de produits pétroliers par les pays de la CEMAC, y compris le Cameroun, entraîne une fuite importante de devises, comme l’a souligné le gouverneur de la BEAC, Yvon Sana Bangui. En ce qui concerne précisément les compagnies pétrolières, les revenus provenant de leurs activités au Cameroun et dans d’autres Etats de la zone CEMAC sont systématiquement cantonnés dans des comptes étrangers privant la Banque Centrale d’une importante marge de couverture en devises du Fcfa. Les acteurs nationaux dénoncent une évasion de capitaux susceptibles de financer l’économie nationale alors que les mis en cause évoquent des contraintes liées à la flexibilité financière, aux opérations de paiement et à la planification de nouveaux projets.
Bitume, lubrifiants, engrais, raffineries locales
« Avec une raffinerie, d’ici deux ou trois ans, au Cameroun ou dans d’autres pays de la sous-région, nous pourrions épargner près de 2 000 milliards de FCFA. Actuellement, nos importations annuelles de produits pétroliers avoisinent ce montant. Et pourtant, nous disposons de la matière première, et la tendance des coûts est baissière », réitère Yvon Sana Bangui. « Produisons localement du bitume, des lubrifiants, des engrais. Ce sont des dérivés du pétrole. […] Dans la CEMAC, nous sommes 60 millions. Si nous développons une capacité industrielle textile pour habiller cette population, nous pourrons épargner près de 100 milliards. Rien que sur les importations de friperies, ce sont environ 80 milliards que nous économiserons », martèle-t-il encore.