
La prestation de serment de 40 comptables publics devant la Chambre des comptes de la Cour suprême, le 25 avril à Yaoundé, a été l’occasion pour cette juridiction de réaffirmer sa prééminence et son exclusivité dans le contrôle de la gestion des finances publiques. Une exclusivité que lui conteste le Conseil de discipline budgétaire et financière (CDBF) du ministère chargé du Contrôle supérieur de l’État (Consupe), dont les compétences ont été réduites par la réforme des finances publiques et une loi supranationale. Malgré cela, le CDBF continue de revendiquer une place dans ce champ. « Le CDBF existe. Le CDBF n’est pas mort », a martelé la ministre chargée du Contrôle supérieur de l’État, Mbah Acha Rose Fomundam, lors du lancement médiatique des activités du CDBF pour l’année 2025, le 16 avril dernier à Yaoundé.
À cela, l’avocat général de la Chambre des comptes, Félix Onana Etoundi, répond que « les compétences du CDBF ne sont plus d’actualité ». Pour celui qui est par ailleurs procureur général près la Cour suprême, la loi du 11 juillet 2018 portant régime financier de l’État constitue une véritable révolution juridique en matière de discipline budgétaire et financière, car elle « transfère les compétences du CDBF – en matière de jugement des ordonnateurs – au juge des comptes » qu’est la Chambre des comptes.
Exclusivité de la Chambre des comptes
Les juges de la Chambre des comptes défendent leur compétence en tant que seule Institution supérieure de contrôle (ISC), consacrée par l’article 42 de la loi susmentionnée. Cet article précise que « les finances publiques et les politiques qu’elles soutiennent sont soumises au contrôle externe de la juridiction des comptes » et qu’il revient dès lors à cette juridiction de « juger les ordonnateurs, les contrôleurs financiers et les comptables publics », comme l’indiquent les articles 87 et 88.
La Chambre des comptes invoque également la hiérarchie des normes juridiques, citant la directive de la Communauté économique et monétaire des États de l’Afrique centrale (Cemac) de décembre 2011, qui impose à ses six États membres la création de Cours des comptes, seules habilitées à auditer et juger les comptes publics.
« Le CDBF n’est pas une juridiction, c’est un organe administratif. Il est donc désormais écarté de cette matière par le fait de cette loi adoptée par le Parlement et promulguée par le Président de la République », soutient Félix Onana Etoundi
Cette directive dispose en effet que « le contrôle juridictionnel des opérations budgétaires et comptables des administrations publiques est assuré par une Cour des comptes, qui doit être créée dans chaque État membre. Cette Cour des comptes est une juridiction, et ses membres ont le statut de magistrats. […] Elle est l’Institution supérieure de contrôle de chaque État ». Pour l’avocat général Félix Onana Etoundi, « au gré de ce texte destiné à internaliser les normes communautaires dans le dispositif juridique camerounais, tous les comptables publics, les contrôleurs financiers, et surtout tous les ordonnateurs publics […] sont justiciables de la juridiction des comptes », compétence exercée auparavant par le CDBF.
La Chambre des comptes va plus loin. Sur la base des articles 87 et 88 de la loi du 11 juillet 2018, elle soutient que cette disposition exclut sans ambiguïté tout autre organe non juridictionnel du champ de la discipline budgétaire et financière. « Or, le CDBF n’est pas une juridiction, c’est un organe administratif. Il est donc désormais écarté de cette matière par le fait de cette loi adoptée par le Parlement et promulguée par le Président de la République », affirme la Chambre des comptes.
Le CDBF et son droit d’exister
Pour le CDBF, même si l’on minimise le conflit de compétences avec la Chambre des comptes, il n’est pas question de se laisser évincer du contrôle de la fortune publique. Le Consupe reconnaît son rôle « administratif » – distinct des contrôles juridictionnels et parlementaires –, mais rejette l’idée d’exclusivité de la Chambre des comptes. C’est ce que défend Théophile Youbissi Tchuente, chef de brigade du suivi de l’application des sanctions au CDBF, lorsqu’il déclare : « Le CDBF intervient dans le cadre du contrôle administratif des financements. On ne saurait être mis en concurrence avec des organes qui interviennent dans le cadre du contrôle juridictionnel et du contrôle parlementaire ».
Les inspecteurs du Consupe citent l’article 40 de la loi de juillet 2018, qui souligne que toutes les opérations relatives aux recettes, aux dépenses et au financement des budgets des administrations publiques « doivent être soumises à un contrôle politique, juridictionnel et administratif ».
Benoît Ndong Soumhet : « le chef de l’État, par les pouvoirs constitutionnels dont il dispose en tant que chef suprême de l’administration, doit avoir un instrument lui permettant, à tout moment, de contrôler la gestion du patrimoine public »
S’appuyant sur cet article, Benoît Ndong Soumhet, ministre chargé de mission à la présidence de la République et pionnier du CDBF, estime que le conflit de compétences entre les deux entités est un « faux débat ». Selon lui, « le chef de l’État, par les pouvoirs constitutionnels dont il dispose en tant que chef suprême de l’administration, doit avoir un instrument lui permettant, à tout moment, de contrôler la gestion du patrimoine public et de sanctionner les personnes mises en cause pour prévarication ». Autrement dit, le pouvoir politique entend conserver son autorité sur les agents publics, contournant ainsi l’indépendance de la juridiction des comptes, pourtant consacrée par la directive Cemac de 2011. Pour Benoît Ndong Soumhet, les deux entités peuvent coexister, car « l’une n’exclut pas l’autre ».
Bien que le Consupe évoque rarement la loi de 2018, ses inspecteurs soutiennent que l’existence du CDBF « repose sur une base légale solide ». Le Dr Alfred Wambang Nyamalum, secrétaire permanent du CDBF, cite notamment la loi de juillet 1976 relative au contrôle des ordonnateurs, gestionnaires et gérants des crédits publics, ainsi que le décret du 17 janvier 2008 portant organisation et fonctionnement du CDBF, toujours en vigueur. « Contrairement à ce que certains avancent, la loi du 11 juillet 2018 portant régime financier de l’État ne supprime nullement le CDBF. Bien au contraire, elle renforce le principe de pluralité des contrôles », précise-t-il.
Avantage Chambre des comptes
Dans cette guerre de compétences entre ISC, la Chambre des comptes semble avoir pris l’avantage. Après avoir été saisie par le maire de Ngomedzap, condamné pour faute de gestion par le CDBF, la Chambre a cassé cette décision, rappelant sa compétence exclusive en matière de discipline budgétaire et financière.
Dans une autre affaire – la mise en débet du directeur général de la Caisse nationale de prévoyance sociale (CNPS) –, le tribunal administratif a reconnu en août 2024 que « les finances publiques et les politiques qu’elles soutiennent sont soumises au contrôle externe de la juridiction des comptes ».
Forte de ces attributions, la Chambre juge depuis janvier dernier plusieurs fonctionnaires du ministère de la Santé publique pour faute de gestion dans le cadre de la riposte au Covid-19 en 2020
Enfin, en novembre dernier, saisie par le ministère des Finances pour recouvrer plusieurs milliards de FCFA auprès du cabinet d’audit Lazare Atou, le juge des comptes a annulé la décision du CDBF, réaffirmant encore sa compétence exclusive. Forte de ces attributions, la Chambre juge depuis janvier dernier plusieurs fonctionnaires du ministère de la Santé publique pour faute de gestion dans le cadre de la riposte au Covid-19 en 2020. Le verdict de ce procès est attendu le 30 avril prochain.
Un enjeu budgétaire sous-jacent
La Chambre des comptes rappelle que « la nouvelle législation camerounaise sur la discipline budgétaire et financière a exclu le CDBF comme organe de sanction des fautes de gestion. Cette attribution, devenue juridictionnelle, est désormais dévolue à la Chambre des Comptes de la Cour suprême. En raison du caractère d’ordre public de la règle de compétence matérielle, celle-ci est d’application immédiate et exclusive ».
Selon ses magistrats, les mises en débet prononcées par le CDBF ne peuvent aboutir, car un simple recours devant le tribunal administratif suffit à les annuler. Ils observent également que de nombreux avocats contestent exclusivement la compétence du CDBF, fragilisant encore son autorité.
Le programme, intitulé « audit, sanction et contrôle », bénéficie d’une enveloppe de 2,6 milliards de FCFA pour l’année 2025
Certains observateurs au sein de la Chambre des comptes voient dans la résistance du CDBF une tentative de préserver son rôle pour justifier ses crédits budgétaires. Comme l’a rappelé la ministre Mbah Acha, « les activités du Conseil sont réaffirmées par la loi du 23 décembre 2024 portant loi de finances de la République du Cameroun pour 2025, en son article 72, chapitre 11, programme 076 ». Ce programme, intitulé « audit, sanction et contrôle », bénéficie d’une enveloppe de 2,6 milliards de FCFA pour l’année 2025.
Ludovic Amara