Il est 8h45, le jeudi 29 août 2023. Comme à l’accoutumée, Salomon M. qui dirige une entreprise de communication, préside la deuxième et dernière réunion de coordination de la semaine. La séance de travail bat son plein, mais les discussions achoppent sur des questions qui nécessitent des éclaircissements plus approfondies. Salomon saisit alors son téléphone afin d’effectuer des recherches sur internet. «Pas de connexion internet», litil dans son téléphone, après avoir mis en marche à plusieurs reprises son Wi-fi. Après s’être rassuré que ses employés faisaient face au même problème, l’entrepreneur laisse échapper quelques mots durs, témoignant de sa frustration. Quelques minutes plus tard, le mécontentement laisse place au calme, et surtout à la recherche d’alternatives. C’est alors qu’il se souvient qu’on lui avait présenté il y a quelques mois, les services de Starlink, un service internet par satellite que propose Spacex, l’entreprise d’Elon Musk, le milliardaire sud-africain.
Une alternative solide pour les Start-up
Son visage qui s’illumine alors, se renfrogne quelques instants plus tard lorsqu’il apprend que le gouvernement camerounais a interdit la commercialisation et même l’utilisation de ces équipements sur l’ensemble du territoire national. En effet, dans un communiqué publié au mois d’avril, Minette Libom Li Likeng, ministre des Postes et Télécommunications (Minpostel) a demandé au groupe américain de suspendre ses activités, qui ne pourront reprendre qu’après l’obtention d’une licence.
Son désarroi est aussi celui d’autres entrepreneurs camerounais qui ont trouvé en Starlink, l’alternative idéale pour faire face aux interruptions fréquentes dans la fourniture d’internet et à son faible débit. C’est notamment le cas d’Olivier Madiba, fondateur et président-directeur général de Kiro’o Games, premier studio de jeux vidéo en Afrique centrale, qui milite activement pour la démocratisation de cet accès à internet.
Il mène un plaidoyer actif auprès du Minpostel dans le but d’obtenir la levée de la suspension de cette solution qui, pour de nombreux experts, «représente une alternative solide pour les startups camerounaises, surtout pour celles opérant dans des zones mal desservies par l’infrastructure Internet traditionnelle.» indique l’un d’entre eux contacté par Défis Actuels. «Toutefois, il est essentiel de bien évaluer les coûts et la disponibilité avant de s’engager», ajoute-t-il.
«Ces derniers temps, c’est la coupure généralisée, tous ceux qui utilisaient le forfait régional voient juste leur connexion désactivée, bref c’est pratiquement tout le monde, sauf Ceux qui viennent d’installer ou qui utilisent un forfait Roaming Global qui est pratiquement à 250 000F le mois, En effet, c’est le résultat d’une bataille entre notre gouvernement et Starlink, la conséquence c’est le retour massif chez nos piètres opérateurs locaux, il y aura sans doute chute de débit. L’activité de certaines personnes repose uniquement sur la bonne connexion internet», rappelle un opérateur économique courroucé.
Sa colère est compréhensible. Surtout si l’on se rappelle que Starlink utilise une constellation de satellites en orbite basse pour «fournir une connexion Internet à haut débit, même dans les zones rurales ou mal desservies». Pour les startups au Cameroun, cela signifie un accès «à une connexion Internet plus rapide et plus fiable que les options terrestres, souvent limitées par l’infrastructure locale».
Contrairement aux fournisseurs locaux qui peuvent être sujets à des coupures fréquentes, cette solution internet américaine «offre une plus grande stabilité grâce à sa technologie satellitaire. Cela est particulièrement crucial pour les startups qui dépendent d’une connexion continue pour les transactions, la communication avec des clients internationaux, ou l’accès à des services en cloud», explique un second expert installé en France. En outre, elle peut aussi, selon lui, «être un avantage pour les startups opérant dans différentes régions du Cameroun, ou pour celles ayant besoin d’une connectivité temporaire dans des zones où l’Internet traditionnel est indisponible ou peu fiable», ajoute-t-il
Protection de la Souveraineté numérique nationale
Les avantages de Starlink sont incontestables. Toutefois, le gouvernement camerounais leur oppose des préoccupations qui semblent tout à fait légitimes. Yaoundé, tout comme les pays africains qui ont interdit l’utilisation de ce moyen de connexion internet par satellite, souhaitent surtout exercer un contrôle strict sur ces outils qui échappent encore à leur régulation. Ils craignent notamment que l’arrivée de Starlink échappe à leur contrôle et complique la régulation du secteur des télécommunications.
«L’entrée de Starlink pourrait menacer les entreprises locales de télécommunications et d’internet, ce qui pourrait entraîner une perte de revenus pour ces opérateurs. En conséquence, certains gouvernements protègent leurs industries locales en limitant ou en interdisant l’accès à Starlink», ajoute notre expert. «Certains gouvernements africains craignent que Starlink puisse être utilisé pour contourner les systèmes de surveillance et de censure d’Internet mis en place dans leurs pays, ce qui pourrait poser des risques pour la sécurité nationale», a-t-il ajouté.
Pour un autre observateur averti, cela peut aussi être considéré comme une forme de protectionnisme. Surtout que le Minpostel a récemment déclaré qu’elle voulait également protéger Camtel, l’opérateur national de télécommunications, qui pâtira certainement de cette concurrence venue des Etats-Unis.«Malgré les défis persistants rencontrés par Camtel (Cameroun Telecommunications), le ministère des Postes et Télécommunications a exprimé son intention de protéger l’opérateur national contre la concurrence de Starlink, le service internet satellitaire d’Elon Musk. Camtel, qui a longtemps été critiqué pour son service de qualité variable et ses difficultés financières, reste néanmoins un acteur clé du secteur des télécommunications au Cameroun. Le gouvernement craint peut-être que l’arrivée de Starlink ne mette en péril les investissements réalisés par Camtel et ne complique davantage la situation financière de l’opérateur», indique-t-il.
Une politique honnie par certains opérateurs économiques locaux. «On va parler des intérêts des locaux, quels locaux? Camtel qu’on pouvait valoriser fait quoi ? Pardon les consommateurs aiment la concurrence ! Surtout si ça nous permet de faire des choix qui peuvent nous aider à booster nos business», rappelle l’un d’entre eux qui a requis l’anonymat.
Starlink durcit l’accès à ces équipements
Selon le Minpostel, Starlink avait entamé des négociations pour régulariser sa situation au Cameroun. Ces dernières semblent aujourd’hui s’enliser. En attendant le dénouement, Space X a mis en place de nouveaux verrous qui pourraient compliquer l’acquisition de ces équipements au Cameroun. En effet, selon un article publié par nos confrères de Fandroid, l’entreprise américaine a introduit de nouveaux frais qui s’appliquent lors de l’activation du matériel en dehors de la région dans laquelle il a été acheté.
«Mais qu’est-ce que ça signifie concrètement ? Imaginons que vous achetiez votre kit Starlink aux États-Unis, où les prix sont souvent plus avantageux, pour l’utiliser en Europe. Désormais, vous devrez vous acquitter de frais supplémentaires au moment de l’activation. C’est ce qu’on appelle les frais hors région», précisent nos confrères. Toutefois, souligne un observateur averti, «bien que la décision de Starlink de lutter contre les scalpers puisse être perçue positivement dans les marchés où ses services sont légaux, elle pourrait compliquer davantage l’accès à Internet pour les utilisateurs au Cameroun»
L’article Conflit Starlink/Gouvernement: Entre souveraineté et réduction de la fracture numérique est apparu en premier sur News du Cameroun.