Dans une tribune émouvante, le journaliste Benjamin Zebaze revient sur sa relation privilégiée avec l’ancien ministre Dakayi Kamga, disparu à l’âge de 80 ans. Il évoque les moments forts de leur de leurs rapports et rend hommage à l’homme d’État qu’il a côtoyé.
Découvrir ci-dessous ces anecdotes de Benjamin Zebaze sur le défunt ministre Dayayi Kamga:
LE DÉFUNT MINISTRE DAKAYI KAMGA ET MOI
A défaut de publier mes mémoires (en préparation), j’essaye de raconter mon itinéraire atypique aux abonnés de ma page le plus honnêtement possible. Aujourd’hui, je rends hommage au ministre Dakayi Kamga décédé il y a quelques jours.
COMMENT JE RENCONTRE LE MINISTRE DAKAYI KAMGA
Aucun journaliste ou tout simplement aucun camerounais ne pouvait ignorer ce nom tant il était prononcé à la radio, et ensuite à la télévision.
Un jour, ma secrétaire entre dans mon bureau pratiquement en suffoquant et me dit: « le ministre Dakayi est au secrétariat et veut vous rencontrer ». Je crois rêver: rencontrer un « opposant » ? Je sors à la rencontre de celui qui est désormais le patron de l’Uddeac (ancêtre de la Cemac). Après les salutations d’usage, ce Centralien qui était une des têtes les mieux faites de ce pays, m’explique qu’il suit mes activités de loin et que même si je suis parfois excessif, il aime ce que je fais.
Je suis abasourdi: un des hommes clefs du régime que mes journaux pourfendent à longueur d’articles ? Je lui propose de visiter mon imprimerie: mes collaborateurs sont stupéfaits. Ensuite, il me dit que les Chefs d’Etat d’Afrique Centrale lui ont confié la mission de redresser l’institution qu’il dirige et qu’il a besoin d’un bon imprimeur pour l’accompagner.
Je lui fais part de ma disponibilité. Il me laisse quelques documents afin de lui proposer des devis. On se sépare le sourire aux lèvres et chose rare, je m’incline devant la politesse et l’élégance morale d’un » rdepeciste ». Le premier devis est de 2 millions environ: je reçois un bon de commande de Bangui ( siège de l’Uddeac) avec un paiement d’avance. Nous nous appliquons pour travailler le mieux possible et dans les meilleurs délais.
UN CONTRAT « LOURD »
Nous devenons donc un des imprimeurs de l’Uddeac, ce qui est gratifiant. Nous recevons régulièrement des commandes jusqu’à ce qu’un jour, ma secrétaire m’annonce de nouveau: » Monsieur Dakayi Kamga est au secrétariat ». Je me lève comme un drone pour aller le recevoir. Il m’explique que ses collaborateurs et lui sont satisfaits de notre travail; qu’il y a un boulot qu’ils ont peur de me confier car cela pourrait lui coûter sa tête. Il s’agissait de l’impression du code douanier de l’Afrique Centrale, un document hypersensible. Il ne voulait pas le confier aux français qui s’enrichissaient sur notre dos. Ça tombait bien car, nous venions de « chasser » de la Bicic (ancienne Bicec), de la Sgbc… un français d’une cupidité sans pareille: ce dernier venait chaque année récolter des centaines de millions de francs pour produire les rapports d’activités des banques camerounaises: c’était son unique activité, ou presque.
Je lui montre ces autres documents ultra sensibles: il me demande d’envoyer un devis à l’Uddeac. Nous travaillons sur ce devis tout le week-end comme des forcenés pour arriver à des sommes qui, pour l’époque, nous apparaissent folles. Finalement, nous fixons notre offre autour de 55 millions. Des mois passent et je suis presque soulagé de n’avoir pas des nouvelles : que se passerait-il si un « opposant » se loupait lors de la fabrication d’un tel document engageant toute l’Afrique Centrale ?
J’avais presque oublié cet épisode jusqu’à ce que le ministre Dakayi et moi nous retrouvions, une fois de plus, dans mon bureau. Il m’explique qu’il y a quelque chose qui ne va pas; que nous avons fait la meilleure offre mais que ses collaborateurs ne nous croient pas capables de réaliser ce travail puisqu’après nous, la meilleure offre française était au moins 4 fois supérieure. Il me dit qu’ils ont pris un risque: qu’ils vont me confier le contrat: mais pas à mon prix.
Il me fait décharger le bon de commande : ce que je lis me fait tourner la tête: 102 millions de Francs avec un chèque d’avance de 51 millions de francs. Ma tête tourne car âgé de la trentaine, c’est mon plus important contrat. Il conclut est disant ceci: tu ne pourra pas dire un jour que je ne t’ai ni aidé ni soutenu ton combat.
Je reste sans voix en l’accompagnant: je me dis que ces gens du Rdpc ne font rien pour rien : maladroitement, je lui demande combien il veut avoir là-dessus. Il perd son sang-froid habituel en me disant que je n’ai vraiment rien compris. Nous nous battons comme des diables pour produire ce classeur bordeaux que tout douanier d’Afrique Centrale a tenu, à l’époque, un jour dans ses bras. Le ministre Dakayi est soulagé car il a pris un gros risque: je deviens incontournable à l’Uddeac jusqu’à ce que Jean Kuete en devienne le patron.
JEAN KUETE DEVIENT PATRON DE L’UDDEAC-CEMAC ET JE PERD TOUS MES CONTRATS.
Lorsque Jean Kuete arrive à la tête de l’institution internationale, l’un de ses premiers actes sera de m’ejecter de la liste des fournisseurs. Et pourtant, c’est un père pour moi car il a grandit chez mon grand père et mon père était l’aîné qui gérait, en quelque sorte, la famille. Est ce que je lui en veux ? Regardez la photo jointe prise il y a une année lors des funérailles de mes parents où, il est venu à la tête d’une forte délégation: ai-je l’air de lui en vouloir ?
Je déteste son Rdpc mais, au village, c’est un de mes pères que j’ai l’obligation de respecter. Je pense que lui même me respecte car n’importe qui à ma place lui en aurait voulu à mort. Je ne suis pas un homme d’argent et c’est sans doute pourquoi je n’ai jamais été milliardaire.
LA MORALE DE L’HISTOIRE
Chacun fait ce qu’il trouve juste et l’histoire le jugera. Moi même je n’ai jamais été très proche du ministre Dakayi de peur de lui causer du tort car, il a occupé des postes sensibles et une information parue dans mes journaux aurait pu lui causer un tort immense. L’autre enseignement est que dans la galaxie Biya, on aurait tort de mettre tout le monde dans le même sac à crabes: certains ont un cœur même si les Atanga Nji y sont largement majoritaires. Je ne vois pas ce qu’un Centralien de l’époque aurait pu faire d’autre que d essayer de servir son pays sur lequel un homme « sévit » depuis plus de 40 ans. Que nos ancêtres prennent soin de l’âme du ministre Dakayi Kamga.