Lire la chronique de Rodrigue Tongue :
« Banlieue de Yaoundé : Chronique de 12 jours sans électricité !
À Meyo, à Nkolafamba, à Nkolmeyang, la vie s’est figée dans la nuit. Une nuit qui dure. Une nuit qui ronge. Douze jours sans électricité. Pas un frisson lumineux, pas un espoir au bout du fil. Douze jours de silence électrique, après quinze jours d’obscurité complète, puis neuf, puis encore. Les coupures s’enchaînent, les jours passent, la colère s’étouffe dans les soupirs fatigués. On ne crie même plus.
Dans ces quartiers oubliés de l’Est de Yaoundé, les enfants font leurs devoirs à la flamme d’une bougie, quand il y en a. Les femmes cuisinent dans la pénombre. Les vieillards tendent l’oreille au moindre bruit suspect, car l’obscurité nourrit les prédateurs. L’insécurité s’est installée comme un virus, rampant. On ne distingue plus les visages dans les rues, on devine à peine les pas qui approchent. Et personne ne dort vraiment.
Les réfrigérateurs sont morts depuis longtemps. Les congélateurs ont rendu l’âme. Les petits commerces, ceux qui faisaient vivre des familles entières, n’ont plus rien à vendre. Les yaourts tournent, les poissons pourrissent, les clients fuient. Les artisans baissent le rideau, les petits entrepreneurs regardent fondre leurs efforts comme du beurre sous un soleil noir.
Et les appareils ménagers ? Ces maigres biens durement acquis, brûlés par des retours de tension violents, sans avertissement. Les télés s’éteignent pour toujours, les congélateurs se taisent, les chargeurs grillent. Des familles pleurent en silence devant des boîtes noires sans vie.
On parle de vandalisme, de câbles volés, de poteaux sciés. Peut-être. Mais ce que la population voit, c’est l’absence. L’absence de réaction. L’absence de considération. L’absence de secours. Eneo promet, les autorités annoncent, les équipes techniques sont “en route”. Depuis quand ? Vers où ?
Les habitants, eux, n’attendent plus que la lumière. Une simple ampoule qui s’allume. Un ventilateur qui tourne. Une radio qui grésille. Une preuve qu’ils ne sont pas totalement seuls, abandonnés dans leur propre pays.
Douze jours sans lumière, ce n’est pas seulement un chiffre. C’est une descente. Une agonie. Une blessure lente. Et pendant ce temps, les poteaux mutilés se dressent, comme des croix plantées dans la terre, marquant les tombes d’une dignité éteinte. »