Philosophe, éthicien et bioéthicien par ailleurs enseignant chercheur d’éthique à l’Ecole nationale supérieure Polytechnique et à l’Institut international des assurances de Yaoundé parle de l’utilisation éthique de l’IA par les journalistes.
Lors de la session de formation organisée par Med.IA Lab les 22 et 23 novembre 2024, en votre qualité d’enseignant-chercheur, philosophe éthicien, votre intervention a porté sur les enjeux éthiques de l’IA pour le journalisme et la communication. Comment définissez-vous l’éthique ?
L’éthique peut se définir comme une forme de réflexion rationnelle en vue de bien agir. C’est la visée de la vie bonne avec et pour autrui dans les institutions justes.
En quoi diffère-t-elle de la morale ou de la déontologie (notamment dans le journalisme)?
L’éthique fait référence au bien et au mal, au juste et à l’injuste, à ce qu’il faudrait faire ou ne pas faire. Elle est articulée à la morale, terme parfois décrié mais qui indique l’ensemble des normes et des principes qui fondent la distinction du bien et du mal. L’éthique est donc une réflexion pendant que la morale indique un patrimoine donné de valeurs et de normes. La déontologie quant à elle, est un concept qui a été inventé par Bentham en 1834. Elle désigne l’ensemble des devoirs liés à une profession. Elle mobilise des instances de surveillance et de contrôle. Elle se situe entre l’éthique et le droit. En résumé, je dirais que l’éthique est considérée comme la façon personnelle et concrète de se comporter et d’agir, en référence à la morale et à la déontologie. La morale renvoie à un ensemble de règles, de valeurs propres à une société qui dit ce qui est bien, ce qui est mal. La déontologie est l’ensemble de règles et de devoirs régissant une profession. C’est la théorie de devoirs.
L’IA révolutionne de nombreux secteurs et celui du journalisme n’y échappe pas. Elle est devenue un acteur principal dans la création et la diffusion de contenus. Sauf qu’elle met à mal l’éthique professionnelle. Comment le journaliste peut-il faire une utilisation éthique de l’IA?
« Toute technologie suffisamment avancée est indiscernable de la magie ». Les récents progrès de l’intelligence artificielle vérifient pleinement cette citation d’Arthur Charles Clarke. L’intelligence artificielle est le fruit du travail des humains qui devrait être au service des humains. Les journalistes qui demeurent des humains devraient user de la phronesis (sagesse pratique) dans l’usage de l’intelligence artificielle.
Lors de votre intervention, vous avez relevé que les véritables défis sont la formation des journalistes à l’IA et la responsabilité. Comment les journalistes peuvent-ils tirer profit de cette technologie tout en préservant l’éthique journalistique ?
L’éthique qui est essentiellement une régularisation sociale autorégulatoire (processus par lequel un système ou une entité ajuste ses propres comportements ou opérations pour atteindre un équilibre ou une conformité sans intervention externe, Ndlr) peut amener les journalistes à faire un bon usage de l’IA dans leur profession. Pour faire un usage éthique et responsable de l’IA, il faut nécessairement être formé en éthique de la responsabilité. L’éthique de la responsabilité relève de la rationalité téléologique. Elle est rationnelle par rapport à une fin, un but poursuivi par celui qui agit et qu’il a, sinon posé lui-même, du moins clairement reconnu. Elle se caractérise par l’attention aux moyens dans une double perspective : en ce qui concerne leur efficacité pratique, opératoire d’une part, en ce qui concerne les conséquences, d’autre part. Le souci d’efficacité encourage le pragmatisme, le compromis, une tendance à réajuster moyens et finalités selon les aléas de l’action, à redessiner les contours du but visé.
Quelles bonnes pratiques doivent adopter les journalistes face à la montée en puissance de l’IA pour éviter les dérives éthiques ?
L’éthique de la responsabilité fondée dans la phronesis (sagesse pratique) est viatique qui aidera les journalistes à ne pas déléguer leur rôle essentiel de gardien de la vérité et de la démocratie à l’intelligence artificielle. Les journalistes se doivent de garder à l’esprit que l’intelligence artificielle est une prouesse de l’intelligence humaine. Pour garantir une intelligence artificielle éthique, les journalistes doivent intégrer six principes éthiques dans leur pratique : la loyauté, l’équité, la transparence, le respect de la vie privée, la fiabilité et la sécurité. Ces principes visent à garantir que l’IA agit de manière responsable, impartiale et transparente, tout en protégeant les droits et la dignité des individus.
Propos recueillis par Cécile Ambatinda