
Afin de prolonger de 50 ans la durée de vie du barrage hydroélectrique de Songloulou, déjà en service depuis quarante ans, l’entreprise Eneo, qui exploite l’ouvrage, doit investir 72 milliards de FCFA dans sa réhabilitation. Ce programme, baptisé « Dam Safety », est prévu en deux phases. La première, dite d’urgence, porte sur un budget de 20 milliards de FCFA. Elle est répartie en cinq lots de travaux. La seconde phase, en cours d’étude, nécessiterait un investissement complémentaire de 52 milliards de FCFA.
Selon un haut responsable de l’entreprise, Eneo a déjà mobilisé et investi près de 11 milliards de FCFA pour financer la première phase. Par ailleurs, seuls 7 milliards de FCFA ont également été engagés pour la seconde phase « complémentaire ».
Au total, c’est 18 milliards déjà engagés au titre des phases 1 et 2 de ce projet de réhabilitation dont le but est de stabiliser l’ouvrage sujet à la morsure du temps et augmenter par la même occasion son espérance de vie. Cependant, calculette en main, 54 milliards FCFA restent à mobiliser par Eneo pour achever ces travaux prévus pour durer 9 ans selon une étude réalisée il y a une quinzaine d’années par le cabinet d’ingénierie français ISL.
Retard
Autant dire que, malgré le caractère urgent et stratégique de la réhabilitation du barrage de Songloulou, le projet accuse un retard important. En cause : la difficulté pour l’énergéticien Eneo à mobiliser les ressources financières nécessaires. « Le programme Dam Safety est financé jusqu’ici sur fonds propres Eneo. Aussi, des contraintes techniques et financières d’Eneo, y compris celles à contracter avec les bailleurs de fonds, expliquent le retard », explique un responsable de l’entreprise.
Il faut rappeler que l’étude menée par le cabinet ISL recommandait déjà, dès 2013, le lancement des premiers appels d’offres. Elle alertait sur des risques de rupture ou de dysfonctionnement majeur des ouvrages en béton, ainsi que des équipements de prise d’eau et d’évacuation, en cas d’absence de travaux de renforcement.
Sur la base de cette étude, Eneo affirme que le problème principal identifié réside dans « l’apparition de désordres sur les ouvrages en béton cinq ans après la mise en service de l’aménagement (1986- 1987), en raison de la Réaction alcali- granulat (RAG)».
En effet, la RAG se manifeste par des fissures, un gonflement du béton et une réduction des jeux fonctionnels des équipements hydromécaniques. ISL constatait que « bien que les réactions de gonflement du béton semblent en phase terminale, les ouvrages restent fortement dégradés et en limite de stabilité ».
Pour éviter une rupture, le consultant français avait alors préconisé ce « programme de réhabilitation d’envergure » visant à « exploiter l’usine en toute sécurité pendant au moins 50 ans supplémentaires ». C’est ainsi que le programme Dam Safety est mis en œuvre par Eneo depuis 2015, pour la première phase, avec des résultats observés en septembre 2020. « Le barrage de prise est stable, rendant inutiles les travaux initialement prévus de contreforts et de précontrainte », indiquaient les premières conclusions à cette date.
Maxime Nkat, directeur de l’usine de Songloulou, a confirmé cette stabilité lors d’une visite récente de l’ouvrage. « S’il faut résumer, effectivement, on a le défi depuis la mise en service de la centrale, qui est un défi dû au désordre de génie civil : le phénomène de la RAG dû au mouvement du béton. Mais les actions sont menées depuis des années, avec des investissements énormes sur le plan de la circulation du barrage. Et à l’heure actuelle, nous disons clairement que le barrage est stable. Donc on n’a pas de soucis », rassure ce responsable d’Eneo.
Prudence
Eneo reste néanmoins prudent. Les travaux électromécaniques de l’évacuateur de crues (lot 5) n’ont progressé qu’à 13 %. Ahmadou Bivoung, directeur central de la production chez Eneo, explique : « Et même dans la nouvelle perspective, dans ce programme Dam Safety, nous sommes en train de travailler pour anticiper le phénomène de déplacement du béton. On a dit que la RAG est irréversible et on veut mettre en place maintenant des systèmes qui intègrent même ces déplacements, et faire en sorte que même sur un déplacement, qu’il n’y ait pas de contraintes mécaniques, que les contraintes mécaniques soient tout à fait absorbées », explique Ahmadou Bivoung, directeur central de la production à Eneo.
Située à une cinqquantaine de kilomètres en amont du barrage d’Edéa, avec une capacité installée de 384 MW et huit groupes turbines, la centrale de Songloulou a fourni 35 % de l’énergie du Réseau interconnecté sud (RIS) au premier trimestre 2025, devant Nachtigal (31 %) et Édéa (21 %). Une défaillance de Songloulou pourrait provoquer un « effondrement du RIS », selon Eneo.
Ludovic Amara