Après 33 ans de pouvoir, celui qu’on appelait le Vieux est mort aux affaires le 7 décembre 1993, le jour même de la célébration de la fête nationale laissant son pays en proie à un combat fratricide qui va générer le poison de l’ivoirité, un coup d’Etat en 1999, une crise socio-politique armée en 2002 et une sanglante crise post-électorale en 2010.
En octobre 1990, Félix Houphouët-Boigny est confronté pour la première fois en Côte d’Ivoire à un adversaire lors de l’élection présidentielle, en la personne de Laurent Gbagbo. Sans heurts, sans grande surprise, plus de 80 % des électeurs confient au président sortant un septième mandat à la tête du pays. Au lendemain des turbulences d’avril 1990 pourtant, sous la pression de la rue, Félix Houphouët-Boigny avait été contraint de lâcher du lest au point de renoncer au système de parti unique et d’évoquer même son départ du pouvoir.
En fait, le début des années 1980 marque la fin d’un quart de siècle de prospérité qui a fait de la Côte d’Ivoire la « vitrine de l’Afrique de l’Ouest ». On parle alors du « miracle ivoirien », l’eldorado de la sous-région ouest africaine. L’embellie économique qui connaît un coup d’arrêt en 1979 conduit à des remous sociaux. En 1981, le pays admet officiellement être dans l’incapacité de rembourser ses dettes et doit se résigner à subir un plan d’ajustement structurel. Tous les budgets sont révisés à la baisse. La Côte d’Ivoire entre dans une période de turbulence politique et sociale au début des années 1990. Les partis d’opposition sont légalisés, tandis qu’un poste de Premier ministre est créé pour Alassane Dramane Ouattara, dont la mission est d’assainir les finances de l’État.
Ivoirité
Félix Houphouët-Boigny avait été opéré en juin 1992 à Paris d’un cancer de la prostate. Il avait été hospitalisé de nouveau en octobre dans la capitale française, puis à Genève en Suisse avant d’être rapatrié le 19 novembre dans un état grave. Celui qu’on appelait le Vieux est mort à Yamoussoukro, son lieu de naissance à 220 kilomètres d’Abidjan, le 7 décembre 1993, le jour même de la célébration de la fête nationale qui marque le 33e anniversaire de l’accession à l’indépendance de la Côte-d’Ivoire. Pour la première fois depuis 1960, il n’avait pas prononcé le traditionnel discours, la veille.
Avec la mort de Félix Houphouët-Boigny, les trois principales personnalités qui étaient apparues, entre 1975 et 1990, comme les prétendants les plus sérieux à sa succession, les trois mêmes que l’on retrouve près de vingt ans plus tard, sont opposés dans un combat fratricide : l’héritier Henri Konan Bédié, l’opposant Laurent Gbagbo, et l’économiste en chef Alassane Ouattara. Aux prémices de cette guerre de succession après le décès du « Vieux », Alassane Ouattara s’est associé à Laurent Gbagbo dans un Front républicain. Il s’agissait de faire front contre la dérive xénophobe de Henri Konan Bédié porteur du concept d’Ivoirité censé écarter son principal adversaire de la présidentielle de 1995, la Constitution faisant alors obligation d’être né « de père et de mère » ivoiriens pour se porter candidat.
Coup d’Etat de 1999
La mort du père de la nation le 07 Décembre 1993 marque le départ d’une période tumultueuse caractérisée entre autres par la division des « héritiers » réunis au sein du PDCI-RDA, le coup d’Etat de 1999 et l’éclatement de la crise socio-politique armée en 2002. Les élections de 2010 dites de sortie de crise vont causer plus de 3.000 morts suite à la grave crise post-électorale qui s’ensuit.
Henri Konan Bédié gouverna le pays pendant sept ans, avec le triste souvenir du poison de l’ivoirité avant d’être victime d’un mouvement d’humeur de l’armée qui se transforma en putsch militaire à Noël 1999. Laurent Gbagbo remporta l’élection d’octobre 2000 et, grâce à un talent manœuvrier qui lui valut le surnom de boulanger d’Abidjan se maintint au pouvoir pendant près de dix ans. Il finit par consentir à organiser des élections qu’il perdit, affirma contre toute évidence qu’il les avait gagnées et fut finalement délogé du pouvoir par les troupes du « Président élu » soutenues par l’armée française. Alassane Dramane Ouattara prend à soixante-neuf ans la tête d’un pays exsangue : l’économie est « en panne sèche » (p. 176), la société « en lambeaux » (p. 175). Les défis sont immenses. Il faut mobiliser l’aide extérieure et rassurer les investisseurs internationaux. Il faut créer une nouvelle armée en démilitarisant les milices. Il faut juger les crimes de guerre, notamment ceux commis par les forces pro-Ouattara dans l’ouest du pays à Duékoué. Il faut enfin tourner la page de l’ivoirité et (re)construire une citoyenneté ivoirienne porteuse de sens.
Félix Houphouët-Boigny La fin et la suite, de Frédéric Grah Mel est une biographie qui présente trois grands aspects de la vie du premier président de la Côte d’Ivoire : sa diplomatie, les prétendants à sa succession, les turbulences de la fin de sa vie, elle s’achève sur la fin de la vie d’Houphouët, « décrivant par le menu la fragilisation progressive du pouvoir d’un homme qui avait sans doute eu tort de vouloir rester président à vie, et a ainsi pris une part mal connue mais réelle dans le désastre qui a dynamité son pays après lui ».