
La loi de finances 2025 met fin à l’exonération des frais d’État de cession dont bénéficient les cabinets de géomètres exerçant en clientèle privée au Cameroun. Présentée comme une mesure visant à accroître les recettes publiques non fiscales, cette réforme consacrée par l’article 22 de ladite loi entraîne une hausse « significative » des coûts pour les demandeurs de services fonciers, selon les professionnels du secteur.
Dans une correspondance adressée le 14 janvier dernier au ministre des Finances, le Syndicat national des géomètres et topographes du Cameroun (SNGT) alerte sur cette situation qui mettrait en péril la viabilité des cabinets de géomètres et topographes.
Alors qu’en 2023, les frais étaient plafonnés à 50 000 FCFA pour une superficie de cinq hectares, la nouvelle tarification impose désormais 50 000 FCFA par hectare, soit une multiplication par cinq en moyenne pour une même étendue de terrain, rapporte-t-on. Pour les terrains en zone urbaine, un tarif additionnel de 7 000 FCFA par tranche de 100 m² supplémentaires est également introduit, ce qui alourdit encore davantage la charge financière pour les propriétaires fonciers et les promoteurs immobiliers.
Les autorités justifient cette suppression d’exonération par la nécessité de renforcer les ressources publiques destinées à l’entretien des infrastructures et des équipements administratifs mobilisés pour la gestion foncière. Toutefois, cette mesure risque de freiner la régularisation foncière en renchérissant les transactions, avec des répercussions sur l’accessibilité au foncier, notamment pour les particuliers et les investisseurs du secteur immobilier.
Précisément, les frais d’État de cession couvrent des prestations telles que la reconnaissance du terrain, les travaux de levé, les calculs, la confection des plans et la fourniture des procès-verbaux. Jusqu’ici, les géomètres privés réalisaient ces opérations avec leurs propres moyens, sans recourir aux ressources ou équipements publics, à l’exception du contrôle et du visa final des travaux effectués.
Désormais, l’État leur impose de s’acquitter de ces frais au même titre et au même taux que les agents du cadastre, une décision qui, selon le géomètre expert Ghislain Wilfried Evaga Eyebe, entraîne « des perturbations majeures dans les activités des géomètres, sur les projets d’aménagement foncier et, par extension, sur l’ensemble du secteur immobilier ».
Selon Alain Moungang, président de l’Association des promoteurs immobiliers du Cameroun (APIC), des projets d’aménagements fonciers sont pris en otage par cette décision. C’est le cas d’un promoteur immobilier qui, en 2024, a lancé un projet de lotissement sur une superficie de 50 hectares. Lors de la planification financière, explique-t-il, il avait budgétisé 17,5 millions FCFA pour les études topographiques (réalisées par un géomètre en clientèle privée), 45 000 FCFA pour les frais de timbres, et 1 million FCFA pour des frais non-institutionnels liés au circuit de contrôle et de visa. Avec ces chiffres, il avait estimé un coût final de 10 000 FCFA par m² pour vendre des terrains viabilisés et sécurisés.
Avec la suppression de l’exonération et l’introduction des frais d’État de cession, les charges ont explosé. Pour la même superficie de 50 hectares, ce promoteur doit désormais payer 34,9 millions FCFA uniquement pour l’État de cession, soit le double du montant des études topographiques réalisées. Ce montant, exorbitant pour une tâche qui se limite au contrôle et visa, a complètement déséquilibré le projet. Contraint de répercuter ces coûts supplémentaires sur ses souscripteurs, ce promoteur a dû revoir le prix du mètre carré à 12 000 FCFA au lieu de 10 000 FCFA.
Pour les géomètres privés, les nouveaux tarifs dépassent largement la valeur réelle des prestations concernées, atteignant parfois 200 % à 300 % du coût des travaux réalisés. « Cela crée une charge disproportionnée, économiquement insoutenable pour les géomètres privés et les usagers », déplore Narcisse Cali Chikangwa, président du SNGT. Selon lui, la suppression de l’exonération des frais d’État de cession menace la survie de nombreux cabinets déjà fragilisés par un marché restreint et entraîne une hausse drastique du coût des prestations cadastrales et topographiques pour les usagers.
De plus, il existe un risque d’émergence d’une concurrence déloyale de la part des agents du cadastre. « Les agents du cadastre, qui disposent de moyens publics pour réaliser leurs travaux, ne supportent pas les mêmes charges que nous, ce qui crée une distorsion de concurrence flagrante. Ils interviennent également dans le secteur privé tout en bénéficiant d’avantages institutionnels, aggravant ainsi notre désavantage concurrentiel », dénonce le SNGT.
Pour sortir de cette situation, les géomètres et topographes demandent la réinstauration de l’exonération en leur appliquant uniquement le droit de timbre fiscal, jugé plus équitable. C’est le sens du plaidoyer engagé par le SNGT auprès de Louis Paul Motaze, ministre des Finances. « Nous croyons fermement qu’une réforme équilibrée est possible et qu’elle contribuera non seulement à préserver notre profession, mais aussi à renforcer les recettes publiques et l’efficacité du système cadastral », conclut Narcisse Cali Chikangwa.
Frédéric Nonos
Lire aussi :