
La récente décision prise par la Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC) est un indicateur que l’institution d’émission et de contrôle de la monnaie dans la zone Cemac est confiante que le rythme d’augmentation des prix des produits devrait continuer de ralentir. Le 24 mars dernier, elle a décidé de réduire à 4,5% et 6% les principaux taux directeurs, à travers lesquels elle influence la manière dont les banques décident d’accorder du crédit à l’économie. Cette option prise, la première depuis 2 ans, était une possibilité qui restait toutefois incertaine.
Lors de la dernière revue commune avec le Fonds Monétaire International, il avait été décidé que les taux de la BEAC ne devaient baisser que si des signaux clairs laissaient voir un ralentissement de la hausse des prix sur les marchés locaux, dans le sillage des prévisions sous-régionales (à savoir +/- 1 point de pourcentage sur la norme de 2%).
Les motivations réelles de la Banque centrale de la zone Cemac restent peu certaines, mais le pari pris cette fois ne manque pas de comporter un certain nombre de risques. En effet, d’une manière générale, les prévisions des autorités indiquent que la hausse des prix se rapprochera de 3,5% en cette année 2025. La décision de certains gouvernements de subventionner la consommation, couplée à un ralentissement des prix alimentaires sur les marchés mondiaux, peut justifier cela.
C’est donc une correction de la tendance qui ne dépend pas forcément des instruments de la politique monétaire. Dans la théorie économique, lorsque la banque centrale augmente ses taux, le but est de réduire la quantité de crédits accordés par les banques commerciales et donc la quantité de monnaie créée.
Mais dans la zone CEMAC, c’est l’inverse qui s’est produit. En 2023, lorsque les taux ont été augmentés, le crédit bancaire au secteur privé a connu une progression de 3,1%, plus faible qu’en 2022 (soit environ 4,9%), représentant 12,2% du PIB. Mais en 2024, les créances bancaires nettes (différence entre les dépôts reçus et les crédits accordés) sont projetées en hausse de 7,7% avec un encours cible de 10 197 milliards de FCFA, soit environ 14,1% du produit intérieur brut.
On note aussi une progression marquée de l’encours des crédits nets aux gouvernements, qui est passé de 10% de l’actif total des banques commerciales en 2015 à pratiquement 31% à la fin 2023, et les projections de 2024 signalent des hausses. Cette image globale dissimule cependant certaines faiblesses de la politique monétaire dans la zone CEMAC. Face au resserrement des taux, les banques commerciales n’ont pas manqué l’opportunité de pouvoir percevoir plus de revenus d’intérêts en augmentant les encours de crédits aux deux principaux acteurs économiques que sont les entreprises et le gouvernement, mais à l’exclusion des Petites et Moyennes Entreprises (PME), qui elles ont dû faire face à un phénomène d’éviction.
Cette réalité est perceptible à travers le niveau de concentration des crédits bancaires et la multiplication des requêtes au régulateur bancaire de la CEMAC (COBAC), pour conférer le statut stratégique à plusieurs entreprises et réduire la portée de la conformité aux risques de concentration des crédits. Aussi, ces gouvernements tout comme ces entreprises évoluent dans un environnement économique difficile, où le remboursement de la dette est rendu complexe par des performances économiques plus modestes.
Enfin, certains gouvernements, comme celui du Congo, ont entrepris en octobre 2024 de réorganiser les délais de remboursement de certaines de leurs dettes. Ce qui fait que les banques commerciales atteignent les limites de concentration de crédit mais en même temps refusent de dynamiser le marché secondaire, ne serait-ce que de la dette publique, en cédant une partie de leurs actifs à des gestionnaires de fonds ou de pensions.
Ainsi, la décision de baisser les taux par la BEAC devrait permettre un refinancement moins coûteux des dettes existantes. Mais cela ne résoudra pas la crise de liquidité et de concentration des risques pour certaines banques. Dans beaucoup de pays de la CEMAC, l’incertitude politique est telle que les acteurs économiques sont prudents à s’engager sur des investissements demandeurs de crédits et créateurs d’emplois et de consommation. Dans ce contexte, l’expansion de l’activité bancaire reste elle aussi sujette à conditions.
Idriss Linge