A l’occasion de son passage au Cameroun pour échanger sur les perspectives économiques du FMI publiées en octobre dernier, Nikola Spatafora, économiste sénior au sein du département Afrique de l’institution, s’est entretenu avec Investir au Cameroun sur quelques grands thèmes et tendances macroéconomiques à surveiller par les pays d’Afrique subsaharienne, et de la CEMAC en particulier.
Investir au Cameroun : Dans un contexte mondial marqué par le vieillissement et le déclin démographique, l’Afrique a l’avantage d’avoir une population jeune qui continue de croître. Cet avantage-là apporte des opportunités mais également des défis, notamment en termes de création d’emplois de qualité, d’emplois décents. Quelle réforme suggérez-vous au pays d’Afrique pour créer davantage d’emplois pour les jeunes ?
Nikola Spatafora : Comme vous l’avez souligné, la population en forte croissance représente une grande opportunité, mais aussi un défi majeur. Il est crucial de créer de nombreux emplois de qualité pour les jeunes. Quels sont donc les problèmes et les priorités politiques à considérer ? Le principal obstacle réside dans le fait que la grande majorité des emplois sont informels, offrant trop peu d’opportunités d’évolution vers des emplois plus productifs dans le secteur formel. De plus, les entreprises ne créent pas suffisamment d’emplois et restent souvent de taille modeste, avec une faible productivité.
Toute stratégie doit donc renforcer les capacités des jeunes, hommes et femmes, tout en aidant les entreprises à se développer et à générer plus d’emplois. Cela implique notamment l’amélioration de l’accès au financement, particulièrement pour les PME, la simplification de la réglementation et l’amélioration du cadre de gouvernance pour favoriser la croissance de nouveaux secteurs à forte productivité, comme l’industrie manufacturière et les services modernes, qui pourraient créer de nombreux emplois de qualité pour la population de la région. Dans la zone subsaharienne, les secteurs qui présentent le plus d’opportunités sont l’agriculture moderne et l’industrie manufacturière.
« Dans la zone subsaharienne, les secteurs qui présentent le plus d’opportunités sont l’agriculture moderne et l’industrie manufacturière »
Certains pays, comme le Rwanda, ont également connu une forte croissance dans les services modernes, notamment financiers et de télécommunications. Cependant, tout cela nécessite des infrastructures solides et un cadre de gouvernance favorisant la concurrence. L’intégration régionale commerciale, comme la zone africaine de libre-échange, peut véritablement soutenir le développement de ces nouveaux secteurs.
Investir au Cameroun : Cinq pays sur six de la CEMAC, largement dépendants des revenus pétroliers, font face à un fort endettement consécutif à la crise pétrolière de 2014-2015. Quelles stratégies de financement peuvent-ils adopter pour assurer la diversification de leur économie, condition sine qua non de leur développement et de la création d’emplois ?
Nikola Spatafora : En Afrique subsaharienne en général, les conditions d’accès aux marchés financiers demeurent difficiles et les marges budgétaires sont très limitées. Dans ce contexte, si ces pays veulent réellement réussir leurs politiques de diversification économique, il est essentiel, tout d’abord, de promouvoir la stabilité de l’environnement macroéconomique. Il est également crucial de développer des cadres budgétaires plus solides qui permettront d’assurer une résilience face aux chocs futurs.
Plus important encore, il faut engager des réformes structurelles en appui à la diversification, et là, il existe des marges de manœuvre possibles dans de nombreux pays, notamment pour continuer d’augmenter les recettes fiscales, tout en protégeant les couches les plus vulnérables de la société. Il est aussi nécessaire de prioriser davantage certaines réformes clés susceptibles d’avoir le plus grand impact sur la diversification. Par exemple, il convient de privilégier les dépenses dans les infrastructures essentielles et dans le capital humain, particulièrement à travers l’éducation.
« Il convient de privilégier les dépenses dans les infrastructures essentielles et dans le capital humain, particulièrement à travers l’éducation. »
Pour résumer, il s’agit de mobiliser plus de revenus, tout en s’assurant qu’ils sont utilisés de manière optimale. Notons aussi que si certaines réformes nécessitent des ressources financières importantes, d’autres peuvent être mises en œuvre à moindre coût. C’est le cas, par exemple, des changements visant à améliorer la gestion des investissements ou l’efficacité du système éducatif, qui ne requièrent pas forcément de grands investissements. Dans ce domaine, l’accent doit être mis sur l’amélioration de la gestion des recettes disponibles.
Investir au Cameroun : Le FMI exprime des réserves quant aux politiques de subvention généralisée des carburants. Or, les supprimer a souvent conduit à une hausse des prix des carburants à la pompe, affectant le pouvoir d’achat des populations. Fort de l’expérience du FMI en matière d’accompagnement des pays dans ces réformes, quelles recommandations faites-vous pour une meilleure transition et une préservation du pouvoir d’achat de population tout en réduisant ces subventions à l’énergie ?
Nikola Spatafora : Pour réussir des réformes sur les subventions de carburant, il est fondamental dans tous les cas de protéger les ménages vulnérables des impacts qui peuvent en découler. Mais il y a un contexte global en Afrique dans lequel, les politiques budgétaires ne sont pas aussi efficaces qu’elles le devraient pour être inclusives. En particulier, les systèmes de protection sociale ne sont pas suffisamment développés. Il existe donc une opportunité d’utiliser ce qui est actuellement dépensé en subvention de carburant, pour renforcer ces systèmes de protection sociale, et garantir une protection plus effective aux ménages les plus vulnérables.
« Il existe donc une opportunité d’utiliser ce qui est actuellement dépensé en subvention de carburant, pour renforcer ces systèmes de protection sociale »
Ces ressources peuvent aussi être utilisées pour soutenir des politiques publiques plus inclusives, là où les besoins s’en font ressentir, notamment en matière d’éducation et de santé publique. Je voudrais enfin ajouter qu’il y a moyen de mener une politique de réduction des subventions de carburant à travers une fiscalité progressive, qui minimise l’impact sur les ménages les plus vulnérables. Cela peut se faire à travers une meilleure structuration de l’impôt sur la fortune et sur la propriété foncière.
Investir au Cameroun : Avons-nous quelques exemples dans le monde où ce double objectif a été atteint, à savoir la réduction des subventions et la protection des intérêts des populations vulnérables ?
Nikola Spatafora : Nous avons l’exemple de l’Indonésie, où à la suite des réformes, on a utilisé les dépenses qui étaient affectées aux subventions pour, au contraire, renforcer les infrastructures, l’éducation, les salaires des enseignants, tout en protégeant les ménages les plus vulnérables. Je sais qu’en Afrique subsaharienne, il y a aussi des pays comme le Nigeria où on a essayé plusieurs fois de réformer les subventions. Le défi c’est que souvent on n’a pas suffisamment mis l’accent sur la protection des ménages les plus vulnérables. C’est cet élément qui manque dans certains cas.
Investir au Cameroun : Les estimations du FMI suggèrent qu’en réduisant l’écart entre le taux d’activité des hommes et des femmes, certains pays pourraient gagner en PIB des taux allant de 10 à 30%. Comment est-ce que vous appréciez les réformes qui ont été faites en matière de réduction des inégalités ?
Nikola Spatafora : Beaucoup de pays de la région ont déjà accompli de grands progrès en matière de réduction des inégalités et de mise en œuvre des politiques prenant en compte les aspects de genre. C’est le cas par exemple des politiques visant à lutter contre les violences sexistes, contre les discriminations ou encore les mariages forcés d’enfants mineurs, ou encore celles qui visent à favoriser la scolarisation des femmes et augmenter leur productivité et soutenir la contribution de ces dernières à la croissance économique.
Mais, naturellement, il y a encore des obstacles qui persistent. Dans certains cas, les défis de base comme l’éducation primaire, même secondaire, ne sont plus le principal problème. Maintenant, on a dans la plupart des pays la problématique de faire accéder plus de femmes aux services financiers. Il est crucial de renforcer l’éducation financière des femmes, mais aussi de favoriser la concurrence dans le secteur financier avec de nouvelles entreprises dans le secteur qui seront plus incitées à rechercher de nouveaux clients parmi les femmes.
Propos recueillis par Baudouin Enama
Nikola Spatafora : Economiste sénior au sein du département Afrique du Fonds Monétaire International, Nikola Spatafora est diplômé de la Oxford University où il a obtenu une licence en économie et philosophie en 1991, mais aussi de la Yale University où il a obtenu un doctorat en économie en 1997. Il a près de 30 années d’expertise et d’expérience au sein des institutions de Bretton Woods (Banque mondiale et FMI) où il a développé une solide compétence en matière de recherche sur les politiques publiques de développement.