Selon Jean-Bruno Tagne, si la candidature de Paul Biya n’a que peu surpris, étant donné qu’il n’a montré ces dernières années aucun signe de vouloir céder le pouvoir après un si long règne, il demeure néanmoins « étonnant de le voir continuer à vouloir briguer un nouveau mandat alors qu’il n’est manifestement pas en capacité de gouverner ».
Le journaliste rappelle les dernières apparitions publiques du président, notamment lors de la fête nationale du 20 mai, où un homme « fatigué, usé par le pouvoir » était visible, ne donnant pas les signes d’une énergie suffisante pour se lancer dans une nouvelle campagne.
Ci-dessous l’interview de Jean-Bruno Tagne sur TV5 Monde au sujet de la candidature de Paul Biya :
Journaliste : Avez-vous été surpris par l’annonce de sa candidature à Paul Biya ?
Jean-Bruno Tagne : Alors il y a très peu de surprises quant à l’annonce de la candidature du président Paul Biya pour un nouveau mandat, parce qu’il n’a pas donné ces dernières années le signe d’un dirigeant qui était disposé à passer la main après un long règne. À défaut de surprises quand même, il y a l’étonnement. Et vous l’avez rappelé, Paul Biya est aujourd’hui âgé de 92 ans, dont ses 43 passaient au pouvoir et beaucoup avaient pensé qu’il irait se reposer.
Les dernières images en public qu’on a du président Paul Biya, c’était lors du 20 mai, la fête nationale du Cameroun, et on a vu un homme fatigué, usé par le pouvoir, en tout cas qui ne donnait pas les signes de quelqu’un qui a suffisamment d’énergie pour se lancer dans une nouvelle campagne. Donc à ce niveau-là, à défaut de surprises, il y a au moins l’étonnement de le voir continuer, à vouloir briguer un nouveau mandat alors qu’il n’est manifestement pas en capacité de pouvoir gouverner.
Alors cette fois, certains de ces ministres sont aussi candidats. Est-ce une nouveauté ?
Alors disons qu’entre l’annonce de la candidature et l’effectivité de la candidature de certains de ces anciens ministres, il y a un pas qu’il faut se garder de franchir pour l’instant. Mais toujours est-il que c’est quand même quelque chose d’assez extraordinaire. Dans le landerneau politique camerounais, on a observé ces dernières années que chaque fois qu’un ministre, un membre du gouvernement, était même simplement soupçonné d’avoir des ambitions politiques, il pouvait passer par la case prison.
On peut citer le cas du professeur Titus Etzoa qui avait annoncé sa candidature à la présidence de la République en 1997. Il était ministre de la Santé après avoir été secrétaire général de la présidence de la République. Il a été arrêté et emprisonné. Il a passé pratiquement 17 ans de prison. D’autres personnes sont en prison aujourd’hui et qui sont soupçonnées d’avoir eu des ambitions politiques.
Donc cette fois, on voit deux ministres qui étaient encore il y a quelques jours dans le gouvernement du président Paul Biya et qui annoncent leur candidature. Et jusqu’à présent, ils ne sont pas du tout inquiétés. Cela peut donner l’idée, du moins c’est ce que beaucoup pensent, que le président Paul Biya n’a plus suffisamment d’énergie pour mener cet autre type de combat.
Face à cela, l’opposition pourrait-elle présenter un candidat unique ?
Alors disons qu’il y a très peu de chances que l’opposition présente une candidature unique. Et c’est d’ailleurs un faux débat parce qu’il n’y a pas une opposition au Cameroun. Il y a des oppositions avec des objectifs qui ne sont pas les mêmes. L’opposition au Cameroun, ce n’est pas un monolithe, des gens qui pensent exactement de la même manière et qui ont les mêmes objectifs lorsqu’ils se lancent dans la politique.
C’est donc une opposition unie. Je pense que ce n’est pas demain la veille. Par contre, le ras-le-bol des Camerounais semble aujourd’hui assez manifeste.
Et beaucoup pensent que même dans un contexte des élections qui sont généralement mal organisées, pour ne pas dire truquer, il est possible que ce sursaut du peuple Camerounais réussisse à faire quelque chose dans les unes, malgré le fait que l’opposition ira dans cette élection, chacun avec ses ambitions. Et je me garde très bien de dire « en rangs dispersés » parce que mettre une opposition dans une espèce de bloc comme ça, c’est extrêmement difficile, voire impossible au Cameroun.
Jean-Bruno Tagne, merci.