Le journaliste camerounais, Directeur général du groupe l’Anecdote partage ce samedi un extrait de son livre intitulé « Leçon de prison ». Passé par l’émaille Service Central de Recherche puis six mois à la prison Central de Kondengui, l’homme de média camerounais raconte cette dure épreuve de solitude et invite ses jeunes frères camerounais à ne pas tomber dans les « mêmes travers que lui ».
- 𝐋𝐞 𝐦𝐨𝐦𝐞𝐧𝐭 𝐨ù 𝐭𝐨𝐮𝐭 𝐛𝐚𝐬𝐜𝐮𝐥𝐞
Tout commence par une notification verbale, une signature, puis, cette phrase qui claque : « Vous êtes mis en garde à vue. »
À cet instant précis, tout change. Le ton, les regards, l’atmosphère. Ce n’est plus un simple rendez-vous où tu croyais pouvoir rentrer tranquillement chez toi. C’est une privation de liberté. Et sans même t’en rendre compte, ta vie bascule dans un espace-temps qui ne t’appartient plus.
Pour ma part, j’ai eu une “chance” relative : celle d’avoir été notifié en pleine journée. Une “chance”, car cela m’a permis d’être accompagné par ma femme lorsque je me suis présenté volontairement au Service Central de Recherche, après avoir appris que j’étais activement recherché. J’ai fait le choix de ne pas fuir. Je me suis rendu. Volontairement. Dignement.
En journée, il est encore possible de s’organiser. Les proches sont là. Présents. Ils te regardent, t’interrogent du regard, t’accompagnent sans vraiment savoir quoi dire. Ma femme, enceinte de huit mois de notre dernier garçon, fut ce pilier silencieux, cette force discrète et en même temps très présente.
Elle a eu le temps de rentrer à la maison pour me ramener quelques effets personnels. Rien de trop. Car au Service Central de Recherche, on t’attribue quand même un nécessaire :
Un survêtement réglementaire, des chaussettes estampillées « Gendarmerie Nationale », des sandales du savon, une brosse à dents, du dentifrice, du détergent et une palette d’eau minérale. C’était ma première fois de voir un tel traitement au Cameroun pour les gardés à vue.
Entre deux démarches, mon épouse a pu prévenir deux ou trois proches. Ils sont venus. Par solidarité ? Peut-être. Par curiosité ? Certainement. Mais déjà, dans cette agitation apparente, tu ressens l’isolement qui s’installe doucement.
C’est la nuit qui révèle donc la vraie nature de la garde à vue. Quand les lumières s’éteignent.
Quand les portes ferment. Quand le silence devient ton seul compagnon. Et là, tout commence vraiment. Tu es seul. Tu n’es plus journaliste. Tu n’es plus Directeur. Tu n’es plus rien. Tu es juste un homme face à son destin.
C’est là que les vraies questions surgissent :
- Est-ce que je vais sortir au terme de cette garde à vue ?
- Est-ce que quelqu’un va intervenir ?
- Est-ce que je vais passer devant un procureur ?
- Un commissaire du gouvernement ?
- Et surtout… est-ce que ce que j’ai fait valait vraiment le coup ?
Dans ce silence pesant, tu réentends chaque mot que tu as dit trop vite. Chaque post partagé sans recul. Chaque engagement pris sans mesurer les conséquences.
Curieusement, les premiers à appeler tes proches ne le font pas pour t’aider.
Non. Ils veulent simplement confirmer l’information. S’assurer que c’est vrai. Pour pouvoir la relayer.
Et très vite, les mêmes qui t’encourageaient hier à “aller jusqu’au bout”, à “faire du bon travail”, à “finir avec lui”, les mêmes qui te qualifiaient de “héros national”, deviennent soudain des donneurs de leçons : « On l’avait prévenu. Il n’a pas écouté. »
Mais eux, ils dorment chez eux avec leurs familles Toi, tu dors sur un matelas une place en mousse, avec la tête pleine de doutes et le cœur en surchauffe.
Cette première nuit est longue.
Très longue. Tu ne dors pas. Tu ne dors plus.
Tu médites. Tu te rappelles cette phrase :
« Le désordre est collectif, mais la responsabilité est individuelle. »
Et une autre question s’impose, brutale :
« J’étais vraiment obligé de faire ça ? » Tu penses à tes enfants. À ton épouse. Au mal que tu causes à tes parents, à tes frères, à tes sœurs, à ceux qui t’aiment vraiment. Et là, cette phrase prend tout son sens. Tu la ressens dans ta chair.
Dans ce genre d’épreuve, les convictions personnelles ne tiennent que si elles sont enracinées. Tu ne comptes plus sur personne. Tu apprends à te regarder en face. Sans filtre. Sans artifice. Sans public. Tu regardes ta propre vérité dans les yeux.
Et là seulement, commence la véritable épreuve.
Extrait de « 𝐋𝐞ç𝐨𝐧𝐬 𝐝𝐞 𝐏𝐫𝐢𝐬𝐨𝐧 »
𝑷𝒐𝒖𝒓 𝒒𝒖𝒆 𝒏𝒐𝒔 𝒋𝒆𝒖𝒏𝒆𝒔 𝒇𝒓è𝒓𝒆𝒔 𝒏𝒆 𝒕𝒐𝒎𝒃𝒆𝒏𝒕 𝒑𝒂𝒔 𝒅𝒂𝒏𝒔 𝒍𝒆𝒔 𝒎ê𝒎𝒆𝒔 𝒑𝒊è𝒈𝒆𝒔 𝒒𝒖𝒆 𝒏𝒐𝒖𝒔, à 𝒄𝒂𝒖𝒔𝒆 𝒅’𝒖𝒏 𝒄𝒍𝒊𝒄, 𝒅’𝒖𝒏 𝒑𝒐𝒔𝒕 𝒐𝒖 𝒅’𝒖𝒏𝒆 𝒑𝒓𝒐𝒗𝒐𝒄𝒂𝒕𝒊𝒐𝒏 𝒔𝒖𝒓 𝒍𝒆𝒔 𝒓é𝒔𝒆𝒂𝒖𝒙 𝒔𝒐𝒄𝒊𝒂𝒖𝒙.
À paraître bientôt…