À la fin du mois de février 2024, les banques commerciales camerounaises détenaient 56 % des titres d’emprunt émis par le Tchad sur le marché monétaire de la Cemac (Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale), géré par la BEAC, sa banque centrale. Selon le rapport 24/335 du Fonds monétaire international (FMI), le gouvernement tchadien est devenu de plus en plus dépendant des banques camerounaises, « qui ont acquis pratiquement toutes les émissions nettes supplémentaires depuis 2022 ».
Cette situation résulte de l’incapacité des banques commerciales actives au Tchad à répondre aux besoins du gouvernement local. Les données sur l’environnement du secteur bancaire permettent de mieux comprendre cette évolution. Ainsi, le niveau des fonds propres à constituer obligatoirement lors de l’octroi de crédits était négatif (-1,4%) à la fin de 2023. L’encours des créances douteuses (dont le remboursement est incertain) atteignait jusqu’à 31,5 % du total des crédits accordés par les banques tchadiennes à l’économie.
D’un autre côté, même si les banques tchadiennes affichent une solide capacité à honorer les engagements à court terme avec un ratio de 135 %, il leur était difficile de suivre la décision du Tchad de privilégier désormais l’émission de titres d’emprunt à moyen et long terme (obligations du Trésor) sur le marché de la Cemac. Ces derniers représentaient 84 % des titres émis par le Tchad dans la sous-région en juillet 2024, contre 54 % en 2021. Dans ces conditions, seules des institutions financières disposant de ressources suffisantes pouvaient y participer, et on en retrouve plusieurs au Cameroun.
Bien qu’elles soient confrontées à leurs propres risques internes au niveau local, le secteur bancaire camerounais se porte globalement bien. Le ratio des fonds propres sur le total des prêts accordés à l’économie s’est renforcé, passant de 10,8 % en 2018 à 15,3 % en décembre 2023. La part des créances à risque sur l’encours total des crédits accordés se stabilise autour de 12,9 % en 2023, après un pic de 14,1 % en 2021. Les revenus des banques camerounaises ont augmenté, permettant de réduire le poids des charges globales du secteur à seulement 60 % en 2023 des revenus, contre un record de 96,6 % en 2019.
Opportunités…risquées
De plus, la faible demande des banques tchadiennes pour les titres publics a créé une situation où l’offre de crédit disponible pour ce pays est inférieure à la demande, entraînant une hausse des rendements. Les bons du Trésor (prêts à moins de deux ans) rapportent 7,5 % de revenus, tandis que les obligations du Trésor (prêts à plus de deux ans) rapportent jusqu’à 13,5 %, selon des données officielles. Si les banques camerounaises ont la capacité de saisir ces opportunités de gain, il n’en demeure pas moins que l’initiative reste risquée.
Déjà, les revenus du Tchad dépendent largement du pétrole, dont la production et les prix mondiaux sont en baisse. À la fin de l’année 2023, le pays devait l’équivalent de 401 millions $ (près de 250, 4 milliards FCFA) aux gouvernements voisins du Cameroun, du Congo et de la Guinée équatoriale, ainsi qu’à la Bdeac. Selon des experts du FMI, les remboursements de ces créances ne sont pas fluides, et seul le Cameroun attend un paiement dans les prochaines périodes.
À l’analyse, les banques camerounaises se sont beaucoup trop exposées aux gouvernements de la Cemac. En 2023, la progression de l’encours global de crédit dans le secteur s’est accélérée de 13,1 % pour atteindre un total de 5 612 milliards de FCFA, dont 3 402 milliards de FCFA de prêts aux États, soit 60,6 %, principalement accordés au Congo, au Tchad et au Gabon.
Idriss Linge
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