Par Haiwang Djamo, analyste de recherche & Sonia Kouam, Administrateur Civile
Introduction
La prochaine élection présidentielle d’octobre 2025 au Cameroun suscite des inquiétudes quant à son impact sur l’économie locale, en particulier sur les grandes entreprises. Dans un contexte politique souvent marqué par des tensions et des incertitudes, les élections peuvent influencer la vision des investisseurs sur la stabilité du pays (Banque mondiale, 2017). Historiquement, les périodes électorales au Cameroun ont été marquées par une instabilité politique. Les élections présidentielles de 1992 et de 2018, ont été particulièrement marquées par des tensions politiques et des violences, notamment dans les régions anglophones du pays. Depuis 2018 jusqu’à nos jours, la crise anglophone persiste et à l’approche des élections à venir, le climat politique devient de plus en plus tendu. Ce climat d’incertitude peut avoir des conséquences majeures pour les entreprises, affectant leurs décisions d’investissement et leur performance sur le marché. Puisque ces entreprises contribuent significativement à l’économie camerounaise, il est donc important d’analyser l’impact de l’élection présidentielle à venir sur ces dernières, afin de prendre des mesures appropriées.
1. L’incertitude politique peut affecter la confiance des investisseurs au Cameroun
a) Retrait ou report des investissements
Ce serait une évidence que les investisseurs locaux et étrangers puissent choisir de reporter ou de retirer leurs investissements si l’incertitude politique devient trop importante. En effet, avec la crise anglophone non résolue, la multiplication des partis politiques et la coalition qui se dessine, des projets de société diversifiés ainsi que l’inscription massive des citoyens sur les listes électorales, l’incertitude semble bien entretenue. Dans ce contexte, les entreprises internationales en particuliers, pourraient percevoir l’environnement comme risqué et choisir de geler leurs projets en cours au Cameroun. Et, cela pourrait naturellement affecter des secteurs stratégiques comme les infrastructures, les mines ou les télécommunications, où les entreprises étrangères ont un rôle clé.
Les grandes entreprises camerounaises comme la SNH, SABC, pourraient freiner leurs plans d’expansion ou de développement, en attendant des clarifications sur la future direction politique du pays. Cela pourrait réduire la croissance économique locale, affecter l’emploi et réduire la compétitivité du pays.
b) Volatilité accrue sur le marché financier
Avant les élections, il est difficile de prédire les résultats électoraux et leurs conséquences économiques. Du fait de ces incertitudes, les grandes entreprises camerounaises, notamment celles cotées en bourse (BVMAC) telles que la SEMC, la SOCAPALM, la SOCAFAM etc…, pourraient adopter une attitude attentiste, ce qui entraîne souvent une baisse des volumes des transactions et une possible augmentation de la volatilité. Ces dernières pourraient voir la valeur de leurs actions fluctuer de manière imprévisible en raison des incertitudes électorales. Les investisseurs, cherchant à minimiser leurs risques, pourraient vendre leurs actions et cela affecterait directement la capitalisation boursière et, par extension, la stabilité financière des entreprises concernées. En 2017 par exemple, les élections présidentielles françaises ont été marquées par une forte incertitude et cela a entraîné des fluctuations importantes de l’indice CAC 40, reflétant les craintes et les espoirs des investisseurs quant aux orientations économiques futures du pays (Capucine Caturla, 2022).
2. L’issue de l’élection pourrait déterminer la direction des politiques économiques au Cameroun
a) Changements potentiels dans les priorités économiques
La vision économique du président élu dictera quelles seront les priorités économiques du pays. En effet, Les priorités économiques du Cameroun, sous le président Paul Biya, ont principalement visé la diversification de l’économie, la réduction de la pauvreté et l’amélioration des infrastructures (MIEPAT, 2023). Toutefois, l’impact réel de ces politiques a été limité par plusieurs facteurs tels que la corruption, le manque d’efficacité, et des retards dans l’exécution des projets. Et cela empêche les entreprises camerounaises de croître. Compte tenu de ces défis énormes, les futurs candidats pourraient accentuer la diversification au de-là de l’agriculture et des hydrocarbures pour s’orienter davantage vers l’industrialisation et le numérique. Certains projets politiques comme ceux de Maurice Kamto (Leader du MRC) proposent de donner plus d’importance à la modernisation du secteur agricole et au développement des PME pour réduire la dépendance aux importations. De toutes façons, le sort des entreprises pourrait dépendre du vainqueur de l’élection.
b) Réformes potentielles du climat des affaires
Les entreprises camerounaises font face à de nombreux défis, notamment une réglementation complexe et changeante, une corruption rampante, des infrastructures insuffisantes, un système judiciaire inefficace, la bureaucratie et une pénurie de main-d’œuvre qualifiée. L’insécurité dans les régions du Nord-ouest et du Sud-ouest affecte plus de 88% des entreprises. Près de 65% des grandes entreprises ont connu des difficultés en 2019. Face à ces défis persistants, la résolution du conflit constitue une priorité pour les futurs candidats à l’élection et des réformes importantes pourraient être entreprises par le nouveau gouvernement pour stimuler les entreprises locales et attirer des investissements étrangers.
3. Le choix des dirigeants pourrait avoir un impact direct sur les politiques fiscales et réglementaires
a) Les grandes entreprises pourraient être affectées par des ajustements de la politique fiscale
Actuellement, les entreprises camerounaises font face à une pression fiscale relativement élevée. Selon le rapport Doing Business 2020, le taux d’imposition totale pour une entreprise au Cameroun est d’environ 57% des bénéfices, ce qui freine la compétitivité des entreprises locales. Un nouveau gouvernement favorable au secteur privé pourrait envisager de réduire considérablement la pression fiscale sur les entreprises. Cela permettrait aux grandes entreprises locales de réinvestir leurs profits dans la modernisation et l’expansion de leurs activités.
Les entreprises camerounaises doivent passer par une série de démarches couteuses et complexe pour obtenir des licences, payer des taxes ou démarrer de nouveaux projets. Un nouveau gouvernement pourrait s’engager à simplifier les réglementations et réduire les lourdeurs bureaucratiques.
b) Changement dans les régulations sectorielles
Lors des élections présidentielles de 2018, l’ensemble des projets de société des partis politiques avaient déjà ciblé certains secteurs stratégiques tels que les infrastructures, l’agriculture, les énergies etc… Pour Cabral Libii par exemple, candidat à l’élection présidentielle de 2025, il faut un « Cameroun qui protège et libère les énergies ». Dans son projet de société de 2018, celui-ci envisageait fournir 500 MW d’électricité par an, ce qui devrait profiter aux entreprises opérant dans ce secteur. De surcroît, plus de 63 % des communautés locales n’ont toujours pas accès à l’électricité (Mbonteh, 2024). D’autant plus que le Cameroun a connu ces dernières années une hausse successive des prix des produits pétroliers (Djamo &Kouam, 2024), l’accent pourrait être mis sur les énergies renouvelables. De toute évidence, les tendances sont favorables pour une économie de croissance portée par l’agriculture, l’industrie, les infrastructures et les énergies.
4. Les relations diplomatiques du nouveau gouvernement pourraient influencer l’accès aux marchés internationaux
a) Accès élargi ou restreint à certains marchés
Le Cameroun entretient des relations économiques avec des partenaires clés tels que la Chine, l’Union Européenne et les Etats-Unis. Ces partenaires sont très importants pour l’économie camerounaise. Le Cameroun a signé avec elle un Accord de Partenariat Economique (APE) en 2009. Mais cet accord n’a visiblement pas contribué significativement à accroitre l’économie camerounaise. Puisqu’il a fait perdre au Cameroun de recettes fiscales d’un montant de 71,18 milliards de FCFA. Si l’ancien régime n’est pas reconduit, le nouveau gouvernement pourrait envisager la renégociation des conditions ou des termes de cet accord de sorte qu’il soit favorable à l’économie camerounaise.
En plus, le nouveau gouvernement pourrait adopter une politique de diplomatie économique pour renforcer les accords commerciaux existants ou en signer d’autres. Une adhésion renforcée à la ZLECAF par exemple est envisageable et cela permettrait aux grandes entreprises locales, notamment dans l’agro-industrie et la production manufacturière d’accéder plus facilement à un marché potentiel de 1,2 milliards de consommateurs.
b) Attraction de nouveaux investissements étrangers
Les investisseurs étrangers recherchent avant tout la stabilité politique pour garantir la sécurité de leurs investissements. Si l’élection se déroule dans un climat de transparence et de paix, elle pourrait être favorable à la communauté internationale. Un nouveau gouvernement capable de maintenir la stabilité et d’instaurer des réformes économiques favorables à l’investissement pourrait stimuler l’intérêt des entreprises étrangères.
Conclusion
L’élection présidentielle d’octobre 2025 aura un impact considérable sur les grandes entreprises locales. Un environnement politique prévisible, avec des réformes structurelles adéquates, pourraient stimuler l’activité des grandes entreprises, mais une instabilité politique prolongée risquerait de freiner leurs activités et d’aggraver les risques financiers. Quoi qu’il en soit, le sort de ces entreprises dépendra du climat politique et de l’issue de ces élections.
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