Le ministre des Domaines et des Affaires foncières, Henri Eyébé Ayissi, vient de rebattre les cartes dans le litige foncier opposant l’État du Cameroun à la société British American Tobacco (BAT), sur un terrain d’une superficie de plus de 4 ha situé à Bastos, un quartier huppé de Yaoundé. En effet, après avoir rapporté le 31 juillet 2024 les dispositions d’un arrêté pris le 20 juin 2024, portant exercice du droit de préemption de l’État du Cameroun sur le titre foncier délivré à la société Bastos de l’Afrique centrale (devenue BAT), puis rétrocession de la parcelle objet dudit titre foncier à des familles autochtones, le ministre Eyébé Ayissi vient de se rebiffer. Cette volte-face, apprend-on, fait suite à un recours gracieux introduit dans ses services le 20 novembre 2024 par l’avocat Olivier Chi Nouako, représentant les familles ayant bénéficié de la rétrocession du terrain sur lequel un titre foncier avait été délivré à BAT.
En effet, dans une correspondance adressée le 25 novembre 2024 au directeur général de BAT Cameroun, ce membre du gouvernement rétablit la « plénitude des effets juridiques » de l’arrêté du 20 juin 2024, qu’il avait pourtant lui-même rapporté le 31 juillet 2024, sur « très hautes instructions de monsieur le président de la République». Ces instructions présidentielles, précise le ministre, lui avaient été répercutées par un courrier du secrétaire général de la présidence de la République (SGPR), Ferdinand Ngoh Ngoh, daté du 26 juin 2024. L’intervention attribuée au chef de l’État survenait après la dénonciation par BAT, de la spoliation de son bien par l’État du Cameroun.
Pour justifier son retournement de veste, dans l’arrêté signé le 25 novembre 2024 maintenant l’exercice du droit de préemption de l’État sur le terrain querellé, ainsi que sa rétrocession aux populations autochtones, le ministre Eyébé Ayissi admet avoir fait « une interprétation et une application extensives des termes de la lettre du 26 juin 2024 du ministre d’État, secrétaire général de la présidence de la République », lui répercutant les « très hautes instructions de monsieur le président de la République...». Car, poursuit-il, « la prescription de rapporter les dispositions de l’arrêté du 25 avril 2024 portant déchéance des droits de la British American Tobacco sur une parcelle de 4 ha 27a 56 ca sur le titre foncier (…), retrait partiel et rétrocession de ladite parcelle aux familles Edoa Onambélé Tobie, Bissoni Bissoni Richard et Etoundi Jean Luc, représentées par maître Olivier Chi Nouako, ne figure pas explicitement dans les termes de ladite correspondance du 26 juin 2024».
Avec cette nouvelle sortie du ministre Eyébé Ayissi, l’on s’achemine vers la réouverture des hostilités entre l’État du Cameroun et BAT, qui avait déjà saisi le tribunal administratif pour pouvoir récupérer la parcelle qui lui a été retirée. Au sortir d’une audience au tribunal de première instance de Yaoundé Centre administratif, le 11 juillet 2024, où BAT répondait d’une assignation aux fins d’expulsion du terrain querellé, les avocats de l’entreprise n’avaient pas fait mystère de leur intention de porter l’affaire devant des juridictions internationales, en cas de besoin.
Cependant, au-delà de la bataille judiciaire qui s’annonce, le litige foncier entre l’État du Cameroun et BAT au quartier Bastos met en lumière les manœuvres de certaines hautes personnalités camerounaises visant à accaparer le site querellé. En effet, selon diverses sources fiables, après que le ministre Eyébé Ayissi ait pris l’arrêté portant déchéance des droits de BAT sur la parcelle querellée, exercice du droit de préemption de l’État sur ladite parcelle et sa rétrocession aux communautés autochtones, celles-ci ont aussitôt vendu ladite parcelle à diverses personnalités du pays, parmi lesquelles des collaborateurs du chef de l’État.
Brice R. Mbodiam
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