Bien que saluant la bravoure et l’audace d’Issa Tchiroma suite à sa démission du gouvernement, le journaliste Jean-Bruno Tagne émet toutefois des doutes quant à la sincérité de l’acte posé par l’ex-ministre de l’Emploi et de la Formation Professionnelle.
Voici en intégralité sa chronique :
« Cameroun, éloge de la démission
Deux démissions, deux symboles, et des réactions différentes. Bello Bouba Maïgari, ministre du Tourisme et président national de l’Undp, et Issa Tchiroma Bakari, ministre de l’Emploi et président national du FSNC, tous deux alliés du RDPC du président Paul Biya, ont décidé de claquer la porte du gouvernement et annoncent leur candidature à l’élection présidentielle d’octobre prochain.
La démission du premier ne suscite pas de grands commentaires, tant Bello Bouba s’est montré lisse, incolore, inodore et sans saveur tout au long de ses vingt-huit années passées au gouvernement. Discret et docile, son soutien à Paul Biya ne fut rien d’autre que le minimum syndical que lui imposait son alliance avec le parti au pouvoir. On trouvera difficilement des archives d’une manifestation bruyante et enflammée de son allégeance à Paul Biya.
Au contraire, Issa Tchiroma Bakari reste l’image même du griot de la République, thuriféraire infatigable, maître ès flatteries, plus biyaiste que les biyaistes eux-mêmes. Seize ans durant, il a cultivé l’art de l’éloge appuyé, du soutien sans réserve, jusqu’à en faire une marque de fabrique.
Alors, quand il claque la porte, les échos de ses anciennes envolées obséquieuses surgissent, lourds, presque gênants.
Comment peut-on basculer aussi brusquement de la vénération à la rupture ? La question brûle les lèvres, tant l’ampleur du revirement est spectaculaire et suscite doute et consternation. L’ancien héraut du Mémorandum du Grand Nord, dont il fut un des principaux acteurs et aussi l’un des principaux bénéficiaires était-il sincère hier, ou aujourd’hui ?
Mais avant de le crucifier ou de vouer Tchiroma aux gémonies, souvenons-nous tout de même qu’en quarante-trois ans de pouvoir, seuls quatre ministres ont claqué la porte du gouvernement de l’ère Biya. C’est donc un acte de bravoure rare, une audace qu’on ne peut dénier à aucune de ces personnalités, pas même à Issa Tchiroma.
Personne ne lui donnerait le bon Dieu sans confession. Certes, il ne gagnera pas l’élection présidentielle d’octobre 2025, mais il aura accompli son devoir. Et s’il fait les bons choix, il peut entrer dans l’histoire et se laver de l’infamie d’avoir soutenu jusqu’à en perdre la raison ce régime agonisant.
Je préfère mille fois Bello Bouba et Tchiroma qui prennent le risque de claquer la porte, plutôt que leurs comparses du gouvernement qui y sont restés lâchement, bien malgré eux, et continuent — sans entrain — de faire croire aux Camerounais que la « détermination » d’un vieillard de 93 ans à servir un pays où tout est à construire « reste intacte ».
Il faut saluer et encourager ceux qui trouvent la force de démissionner. Ceux qui choisiront de rester dans un navire en perdition et sans capitaine sont à plaindre. C’est à eux que le peuple demandera des comptes et pas à ceux qui ont quand même dit « ngang » !