
Le 27 novembre 2024, le Trésor public camerounais était attendu sur le marché des titres publics de la Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC), pour un remboursement de 14 milliards de FCFA. Comme à l’accoutumée, le Cameroun a émis de nouveaux titres pour pouvoir mobiliser, sur le même marché, les financements nécessaires au remboursement de cette dette arrivée à échéance. Mais, au sortir de cette opération de levée de fonds, le Trésor camerounais n’a pu récolter que quatre milliards de FCFA. Ce qui a obligé le pays à recourir à ses fonds propres pour au moins 10 milliards de FCFA, afin d’effectuer le remboursement et ainsi sauver sa signature, qui fait partie des plus crédibles de ce marché, depuis son lancement en 2011.
Ces informations ont été révélées ce même 27 novembre 2024 par Samuel Tela. Le directeur de la trésorerie au ministère des Finances s’exprimait ainsi au cours de la «Finance Week», événement qui a réuni le gratin de la finance de la zone Cemac (Cameroun, congo, Gabon, Guinée équatoriale, Tchad et RCA) à Yaoundé, autour du thème « marché domestique des capitaux : un levier de croissance économique pour la Cemac ? ». « Avant, j’avais un job excitant. Depuis quelques temps, il est devenu stressant. Nous levions avec beaucoup d’aisance les ressources sur le marché. Aujourd’hui, nous avons de la peine à refinancer nos remboursements…», a confessé M. Tela, prenant l’exemple du refinancement manqué évoqué plus haut.
L’aveu du directeur de la trésorerie au ministère des Finances, sur les difficultés qu’éprouvent désormais le Cameroun à mobiliser les financements sur le marché des titres de la BEAC, survient après l’alerte sonnée début 2023 par le ministre des Finances lui-même. En effet, le 16 février 2023 à Douala, au cours de la cérémonie de présentation du programme de financements de l’État du Cameroun pour le compte de l’année budgétaire 2023, Louis Paul Motazé s’inquiétait déjà du désintérêt que les banquiers agréés comme Spécialistes en valeurs du Trésor (SVT) par l’État du Cameroun, affichaient vis-à-vis des opérations de mobilisation des fonds sur ce marché par le Trésor public camerounais.
Défaut de paiement
« C’est le lieu de m’interroger sur le respect du cahier de charges par certains SVT, qui n’ont participé à aucune émission au cours des six derniers mois. Sur un réseau constitué de plus de 20 SVT, 90% de l’encours des titres est détenu par environ cinq acteurs majeurs », avait dénoncé le ministre Motazé. En d’autres termes, alors qu’il disposait d’un réseau de 20 banques pour l’aider à mobiliser les financements recherchés sur le marché, le Cameroun ne devait les succès qu’il enchaînait à l’époque, au dynamisme de seulement cinq banques. Les autres affichant une certaine réticence à participer aux opérations de levées de fonds lancées par le Cameroun.
Mais, selon le propos du directeur de la trésorerie, la situation semble s’être dégradée depuis quelque temps. En effet, alors que le Trésor camerounais réussissait toujours à faire carton plein sur ses opérations de recherche des financements sur le marché de la BEAC, malgré le nombre réduit de SVT s’investissant dans ces opérations, désormais, le Cameroun ne parvient même plus à mobiliser les financements recherchés. Alors que depuis 13 ans, le Trésor camerounais n’a jamais enregistré le moindre défaut de paiement sur ce marché, traduisant la solvabilité du pays et la solidité de sa signature sur ce marché.
Taux d’intérêts élevés
Lors de la cérémonie de présentation du programme de financements de l’État du Cameroun pour le compte de l’année budgétaire 2023, à Douala, les responsables du ministère des Finances avaient déjà indexé la pratique des taux d’intérêts élevés par d’autres États de la Cemac, pour expliquer le désintérêt de certains SVT pour les titres du Cameroun. En effet, bien que les taux d’intérêts proposés aux investisseurs par le Trésor camerounais aient été revus à la hausse depuis quelque temps, le pays, fidèle à sa politique de prudence sur les taux d’intérêts, reste celui qui rémunère le moins les investisseurs sur le marché des titres de la BEAC.
« Nous essayons de faire comprendre aux banques, c’est-à-dire les SVT, que l’essentiel n’est pas d’aller chercher des taux d’intérêt de 7% dans les autres pays. Il faut regarder aussi le risque. Nos titres de courts termes sont autour de 4%. Mais, il y a des pays dans la Cemac qui offrent jusqu’à 7%. (…) Le même phénomène est observé sur les titres de longs termes, sur lesquels il y a des décotes énormes. C’est-à-dire qu’on affiche un taux de 7%, mais derrière il y a des décotes très élevées. Ce qui vient dénaturer la transparence et même tout le système », confiait déjà le directeur général du Trésor du ministère des Finances, Sylvester Moh, en février 2023 à Douala.
Selon les données de la BEAC, alors qu’il était le principal animateur du marché des titres publics pendant de nombreuses années, le Cameroun est aujourd’hui devancé par le Congo et le Gabon, devenus tous deux très offensifs sur le marché. Ces deux pays ont la particularité de proposer aux investisseurs des taux d’intérêts plus attractifs que ceux du Cameroun. Ce qui a souvent pour conséquence la ruée des investisseurs vers leurs titres, malgré les défauts de paiement souvent enregistrés sur certains remboursements, par au moins l’un de ces États.
Brice R. Mbodiam
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