Au cours d’une cérémonie autour du dernier ouvrage de Haman Mana intitulé »Les années Biya »; à la Northwestern University, vendredi 23-mai, un débat a été ouvert sur le système gouvernant au Cameroun depuis les indépendances.
Il y avait pour ce » book talk », le professeur Richard Joseph, qui avait amené avec lui dans une valise, l’imposante littérature produite depuis un demi – siècle sur » le cas » camerounais : Radical Nationalism in Cameroun : Social Origins of the UPC Rebellion (1977) ; Gaullist Africa : Cameroon Under Ahmadu Ahidjo (1978) l’Etat au Cameroun de Jean François Bayart (1979) et surtout, le dernier volumineux rapport sur la France au Cameroun de 1945 à 1971. Le professeur émérite a lancé le débat, en questionnant Haman Mana sur ce qu’il a appelé » le paradoxe camerounais.
» L’auteur de Les « Années Biya » synthétisant le contenu de son ouvrage a donc déroulé ce qui selon son point de vue aura été la singularité de ce système : ‘’ Le pouvoir de Paul Biya n’est pas maintenu uniquement par la force brute. Il est alimenté par un savant mélange de répression sélective, de manipulations constitutionnelles, de feintes pluralistes, et au-dessus de tout, de cooptation d’une certaine élite. Le régime singe la démocratie tout en ignorant ses principes essentiels. Les institutions judiciaires, législatives et organisatrices des élections sont totalement inféodées au maître du pays. Les partis politiques sont manipulés au gré des objectifs du pouvoir et toute dissidence est, soit monnayée, soit écrasée. La corruption n’est pas un corolaire, elle est systémique. Elle semble être le carburant qui alimente le système, d’un bout à l’autre de la chaîne. La multiplicité ethnique est à tout moment dangereusement manipulée afin d’asseoir le pouvoir du chef. La société civile et les populations, vitrifiées par la peur des dépressions de tout ordre, a développé une forme de résistance sourde, qui va de l’incivisme aux incivilités diverses. Il reste donc aux Camerounais, l’alternative des » deux exils » : l’exil intérieur, celui d’être camerounais en renonçant à la possibilité d’exercer sa citoyenneté, et l’exil extérieur, celui les centaines de milliers de Camerounais qui partent tous les jours.
Le Pr Richard Joseph a alors renchéri, en revenant sur la trame de ses travaux déjà vieux d’un demi-siècle, pour faire remarquer que le constat qu’il avait fait à l’époque est toujours d’actualité. Il a résumé sa conviction en une formule-choc : » Les Camerounais doivent se réapproprier leur pays. » Une très enrichissante discussion a suivi, nourrie par de nombreuses questions, notamment sur le relatif » silence » des Camerounais de la diaspora, qui sont pétris de talents, mais qui n’osent pas transposer sur leur pays, les analyses brillantes et lucides qu’ils font pour d’autres nations. C’est ici que, interpellé à faire un parallèle entre le Sénégal admirable démocratie d’Afrique de l’ouest et le Cameroun, l’auteur a émis une hypothèse : « Je pense que le fait que le premier président du Sénégal fut un poète n’est pas étranger à cela. L’extrême richesse du Cameroun, paradoxalement n’a pas été un avantage, loin s’en faut ».
« Ceci est un ouvrage important, et pour qu’il ait le public le plus large possible, il devrait être traduit en anglais », a souligné le Pr Richard Joseph. Ce à quoi l’auteur a répondu en précisant que grâce à l’appui du Buffet Institute for Global Affairs, une équipe de traducteurs était à l’œuvre, et dans les semaines prochaines, une version en Anglais de l’ouvrage devrait être disponible. Elle aura pour titre » The Biya Régime ».
R.S. ( correspondance particulière )