A 93 ans, il voulait transmettre le pouvoir à son épouse…
Lorsque Emmerson Mnangagwa, son successeur à la tête du pays, annonce, « avec la plus grande tristesse (…) le décès du père fondateur du Zimbabwe et de l’ancien président, le commandant Robert Mugabe », il ne sait pas combien de consciences il libère. Le « père de la nation » du Zimbabwe, hospitalisé à Singapour depuis cinq mois, y est décédé à l’âge de 95 ans. Et comme lors de sa démission, sa mort ne manque pas de susciter quelque jubilation. Même malade, Robert Mugabe restait la figure caricaturale achevée du dictateur africain. On lui prête, généralement à tort, des tas de proverbes sur presque tout. Comme si au lieu de gouverner le Zimbabwe, il passait son temps à philosopher. Les philosophes ne l’admirent pas outre mesure, les violations des droits de l’homme et notamment de la liberté de pensée étant sa principale tasse de café.
S’il fut un héros déterminé de l’indépendance, un nationaliste affirmé au même titre que Nelson Mandela, ses derniers jours ont fait de lui un homme isolé, classé « dictateur redoutable et peu fréquentable » par les Occidentaux. Alors qu’il manquait visiblement de force, les Africains ont vu le pseudo-leader panafricaniste écumer les forums à travers le monde, prenant la parole pour tenir des propos incendiaires. Le dernier coup d’éclat fut sans doute un show le 22 septembre 2017, à la tribune de l’Assemblée générale de l’Onu. Où dans une rhétorique mêlant la Bible et l’anti-impérialisme, il avait chargé le géant américain, sa cible favorite après le Royaume-Uni. Donald Trump venait de menacer de détruire la Corée du Nord.
Fatigué et dormant le plus souvent
Seulement, la biologie ne ment pas. Et les photographes ne loupent pas ces plongées abyssales de l’orateur verbeux dans les mains de Morphée. Comble du sort, le puissant président de l’ancienne Rhodésie du Sud, qui admirait sa comparaison à Hitler, est mort dans le tourment. Champion clamé de l’indépendance africaine, de l’opposition au pouvoir blanc, à l’Occident et à l’Amérique, le « camarade Bob » a connu, en tout juste deux semaines, une descente aux enfers. Dans les années 2000, Mugabe sombre dans une longue dérive autocratique. Contre l’avis de la population, qui a voté contre des réformes constitutionnelles notamment foncières, Robert Mugabe exproprie 4 500 fermiers blancs. Mais redistribue les terres à ses proches et à des apparatchiks de son parti. Le pays sombre dans un marasme économique. Il bat les records d’inflation, atteignant même 1730 % en mars 2007. 90 % des citoyens sont sans emploi en 2010. Autrefois prospère, ce « grenier à maïs » doit souscrire au programme alimentaire mondial tandis que les élites, blanches comme noires, émigrent. L’ancien exportateur de maïs et de viande doit dorénavant en importer. Tout échappe au président.
Le piège de l’oreiller
Surtout, Robert maîtrise de moins et moins les frasques et l’ambition de son épouse, Grace (Marufu) Mugabe, qui ne se contente plus de dormir à ses côtés. L’ancienne secrétaire du président, devenue première dame, est déjà surnommée « Gucci Grace » dans l’opinion, en raison de son amour pour les vêtements et les bijoux de luxe. Accusée régulièrement d’être corrompue, elle caresse le rêve d’exercer le vrai pouvoir. Elle pousse le mari à la faute. Il la propose pour prendre la tête de la Zanu-PF, et fragilise ses concurrents. Elle veut même que son mari lui transmette directement les rênes de l’Etat. Le vice-président Emmerson Mnangagwa s’y oppose. Le 6 novembre 2017, la première dame obtient sa révocation. Seulement, l’armée et une partie des cadres de la Zanu-PF résistent. Les parrains du Zimbabwe lâchent Mugabe, à commencer par la Chine. Après s’être rendu à Pékin, E. Mnangagwa renverse son mentor, le 19 novembre 2017. En juste deux semaines, le père de l’indépendance est tombé. Le 15 novembre 2017, le général Sibusiso Moyo annonce à la télévision nationale prendre le contrôle des rues afin « d’éliminer des criminels proches du président Mugabe ». Placés en résidence surveillée avec sa femme par l’armée, l’ancien chef de l’État refuse toute médiation et continue de se considérer comme le seul dirigeant légitime du Zimbabwe. Le 18 novembre, des dizaines de milliers de personnes défilent dans les rues d’Harare, pour exiger sa démission.
Né le 21 février 1924 à Kutama, Robert Mugabe bénéficie du soutien d’un prêtre pour grandir. Appliqué aux études, parfois par correspondance, le jeune homme se forme et devient très vite un militant nationaliste redouté. Ils feront tomber le gouvernement raciste d’Ian Smith à la suite d’une guérilla qui fait entre 20 et 30 mille morts, puis il deviendra Premier Ministre, de 1980 à 1987 et président du Zimbabwe, de 1987 à 2017. Il est mort le 6 septembre 2019, officiellement d’un cancer de la prostate dont la prise en charge fut impossible dans son pays, en raison de la déliquescence du système de santé. Il a dirigé le pays pendant 37 ans et pointait comme le plus âgé des chefs d’État en exercice dans le monde, lorsqu’un coup d’Etat conduit le parlement à engager une procédure de destitution à son encontre. Sa nomination, la veille de ses déboires, comme « ambassadeur de bonne volonté » de l’Oms, a valu la casquette de son Directeur Général, Tedros Adhanom Ghebreysus. Des jours de deuil national furent décrétés, jusqu’à ses funérailles, dans son village natal, le 28 septembre 2019. Se considérant toujours comme chef de l’Etat, Mugabe avait refusé d’être inhumé dans la nécropole nationale de Heroes Acre.