Le successeur de l’illustre Daniel Kemajou, qui en tant que président de l’Assemblée législative du Cameroun, tint tête à Ahmadou Ahidjo au sujet des pleins pouvoirs, est mort de maladie, quelques jours après la fête de ses 40 ans de trône.
Bazou est en deuil. S.M. Vincent Tchoua Kemajou s’en est allé retrouver ses ancêtres, pas en Suisse comme l’ont prétendu certaines sources sur les réseaux sociaux vendredi soir, mais bien dans un hospice de notre capitale. Il y avait été admis pour des soins d’urgence en vue d’une évacuation projetée vers l’Occident. Il y a quelque temps que le chef n’allait pas bien et séjournait à l’extérieur, où du reste il avait ses habitudes, pour des soins. Le monarque est apparu très diminué lors des cérémonies organisées pour ses 40 ans sur le trône. Au point où ce qui était conçu au départ pour être une fête pompeuse s’est résumé en une modeste cérémonie publique, le samedi 23 novembre 2024, au sein d’une chefferie en pleine reconstruction.
Medumba
Chef supérieur de 2ème degré du groupement Bazou, l’un des treize que compte le Ndé, Vincent Tchoua Kemajou était un chef influent dans la communauté des Fo’o de l’Ouest. Il reste l’un des personnages clés de la succession bloquée à la chefferie supérieure Bangou. C’est en fait lui qui avait arrêté l’autre chef controversé, Maurice Gambou Kemayou lors de la cérémonie de deuil dans ce groupement allié. « En 1984 quand je deviens Chef Bazou, c’est en principe le Chef Bangou qui doit m’installer mais comme ce dernier n’est qu’un chef intérimaire ce sont les Chefs Bamena et Bangoulap, accompagnés du conseil des notables qui procèdent à mon installation ». A l’occasion, il fait des révélations troublantes à la presse. « J’ai gardé les restes du Chef Kemayou (Paul Berbard, mort à Conakry en 1985 dans des circonstances douteuses) pendant 25 ans. (…) C’est depuis 2001 que les restes de Kemayou m’ont été confiés… ». Pour ce partisan de « la restauration » de la lignée, c’est son fils qui jouit de la légitimité de chef. « En 1937, c’est le chef Bazou, mon grand-père qui a procédé à l’arrestation du chef Sinkam Charles. En 1950, c’est toujours mon grand-père Nana qui a procédé à l’arrestation du chef Kemayou Paul Bernard. C’est le notable habilité à le faire Mbeu Youkep qui avait remis les deux chefs à mon grand-père. Le peuple Bangou le sait, car l’histoire ne commence pas aujourd’hui. Dernièrement encore, c’est le successeur de Mbeu Youkep qui m’a remis le successeur. Que celui qui peut nous apporter le contraire le prouve », nous confiait le chef Bazou. Il révèle aussi ses relations avec le défunt chef, Tayo II, qu’il considère comme un intérimaire.
Au moment où il est appelé à succéder à son père, le célèbre Daniel Kemajou (né le 11 octobre 1921 à Bazou, mort le 14 janvier 1984), un homme politique camerounais devenu maire de Nkongsamba, conseiller de l’Union française et ancien président de l’Assemblée législative du Cameroun, Vincent Tchoua Kemajou est greffier des tribunaux. Ses premières décennies de règne ne plaisent pas à certains caciques, qui le trouvent extraverti et très porté sur la bonne chair. Des velléités indépendantistes naissent également à l’intérieur de son territoire, assez composite qu’il gère avec une certaine malice. Avec le temps, le chef va s’assagir et lancer les travaux de reconstruction de sa chefferie, qui a profondément souffert de la guerre antiterroriste des années d’indépendance. Bazou compte en conséquence une très diaspora. Le chef en personne nous confiait il y a quelques années qu’il compte plus de 20.000 sujets dans la seule ville de Douala. De fortes communautés Bazou sont actives à l’étranger. Leurs parents ont fui la guerre mais n’ont pas perdu toutes les racines.
La guerre du koki
A Bazou aujourd’hui, les chantiers de construction des maisons de campagne foisonnent. C’est que lors du Nzouh Mbigoup, une danse rituelle effectuée pour purifier le village il y a dix ans, S. M. Tchoua Kemajou avait interdit le phénomène des enterrements-funérailles. Plus question pour ses fils et filles de débarquer au petit matin avec des cercueils sur le porte-bagages d’un car de transport, d’enterrer le défunt et de disparaître ! Chaque famille doit se construire et y veiller au moins une nuit avant l’enterrement. Ceux qui, entretemps, ont perdu les limites de leurs concessions créent, en achetant des terres, de nouvelles. S. M. Vincent Tchoua Kemajou a surtout fait l’actualité des journaux en 2023, lorsqu’il fut accusé par les Mbo du Moungo d’usurpation sur la propriété originelle d’un mets, le « koki », objet central de son festival culturel. « Ce mets est et demeure la propriété exclusive des Ngoh Ni Songo, déjà soigneusement protégé à l’Oapi et à l’Ompi. En conséquence, toute manœuvre par quelque peuple que ce soit dans cette tentative de réappropriation de notre ekoki ne serait que purement et simplement superfétatoire ». « La présence des rois et chefs du Moungo y est totalement proscrite », avait exigé S.M. Eboa Etouke, chef supérieur Manehas et président du Kupe-Mungo, l’Association des rois et chefs traditionnels du Moungo dans une sortie musclée. Le Festival Kekua se tient aux alentours de la fête de la jeunesse, au mois de février, et culmine avec la présentation des vœux à Sa Majesté. Des occasions au cours desquelles des orientations sur le développement du groupement sont données et où il reçoit des dons. Le gardien des traditions en profite aussi pour ennoblir quelques personnes.
Bazou est le village d’origine entre autres de l’ancien ministre d’Etat Enoch Kwayeb, Pierre Tchanque, le magistrat Njeudjang ancien procureur général près la cour suprême, et plus proche de nous le maire Frédéric Djeuhon, vice-président de la Chambre de commerce et le très sémillant Jules François Famawa. Viennent aussi de là de nombreux artistes dont Ebénezer Kepombia, le pseudo Mitoumba.