
Trois semaines après la grève des manœuvres agricoles de la Société Sucrière du Cameroun (Sosucam), qui a dégénéré en émeutes à Mbandjock et Nkoteng, plusieurs centaines de coupeurs de canne n’ont pas repris le travail. Selon la Confédération syndicale des travailleurs du Cameroun (CSTC), l’un des cinq syndicats de la Sosucam, environ 600 travailleurs sont absents sur les deux sites sucriers.
Selon les syndicalistes, ces coupeurs de canne se sentent désabusés par le peu de résultats obtenus. « Nous demandions simplement une revalorisation de notre salaire de base », déplore l’un d’eux, rencontré dans un quartier de Mbandjock. « Nous sommes découragés et avons même un peu honte », confie un autre.
Plusieurs travailleurs saisonniers expriment un sentiment d’injustice, estimant donner beaucoup sans rien recevoir en retour. Certains se disent déçus d’avoir manifesté en vain et ressentent de la honte après avoir exprimé leur colère et subi des violences.
Car c’est bien la revalorisation du salaire de base qui est la revendication phare des coupeurs de canne. Ce salaire de base plafonne désormais à 57 000 FCFA, calculé ainsi : 285 FCFA l’heure de travail (contre 280 FCFA avant les émeutes), multiplié par 8 heures de travail par jour, multiplié par 25 jours de travail par mois. « Avec les tâches, un ouvrier coupeur peut gagner plus de 200 000 FCFA par mois », explique un « manœuvre agricole coupeur », selon l’appellation officiellement consacrée à la Sosucam.
Revalorisation de 87 % du salaire de base
Mais la réalité est plus difficile que cela, se plaignent les coupeurs de canne. L’un d’eux explique qu’ils réclament un salaire de base de 105 000 FCFA, ainsi qu’une revalorisation du prix de la « tâche ».
En pratique, un coupeur de canne peut augmenter ses revenus en réalisant plus de tâches que celles prévues. Le contrat stipule la coupe de trois lignes de canne par jour, soit 300 mètres. Pour augmenter leurs gains, certains coupent jusqu’à trois fois cette quantité, atteignant 900 mètres par jour. Cela leur permet de gagner près de 200 000 FCFA par mois.
Cependant, cela exige des capacités physiques exceptionnelles que tous les coupeurs de canne ne possèdent pas.
À cela, il faut ajouter que « certaines parcelles n’ont pas été récoltées depuis au moins deux ans, explique un chef d’équipe. Ce qui a rendu la canne longue et dure à couper. Cela a davantage compliqué le travail ». Dès lors, l’une des revendications des coupeurs était alors « que la canne qui pèse soit ramenée à 200 mètres la tâche ».
En somme, les coupeurs demandaient une augmentation de 87 % de leur salaire de base, à savoir que l’heure de travail passe de 280 FCFA à 525 FCFA. Multiplié par 25 jours de travail, un coupeur de canne aurait 105 000 FCFA de salaire de base. Ajouté à cela les différentes primes, un manœuvre en catégorie d’entrée pourrait alors avoir un salaire de près de 200 000 FCFA par mois sans effectuer de tâches supplémentaires.
Revendication rejetée
La direction générale de la Sosucam a rejeté cette revendication. « La direction générale a indiqué rapidement l’impossibilité de répondre à cette demande, tout en rappelant le salaire de base de 56 000 FCFA et toutes les primes fixes liées à la performance, qui permettent d’assurer une rémunération moyenne de 105 000 FCFA pour un manœuvre 2A (catégorie d’entrée) qui assure 8 heures par jour sur 25 jours de travail », a riposté Jean-François Ntsama-Etoundi, le directeur général adjoint, lors d’un point de presse à Yaoundé.
Plus que le SMIG agricole
La direction de la Sosucam ajoute que l’entreprise rémunère déjà ses manœuvres coupeurs au-dessus du SMIG agricole, fixé à 45 000 FCFA au Cameroun.
La direction est soutenue dans cette position par les syndicats, qui estiment que, compte tenu des pertes subies par l’entreprise lors de la campagne 2024, la Sosucam n’est pas en mesure d’accorder une telle revalorisation salariale.
La goutte d’eau
Mais la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, dès le 26 janvier, c’est le retard accusé dans le paiement des avances de salaires. Déjà frustrés d’être contraints, depuis quelques mois, de recevoir leur paie via des banques « qui prélèvent des frais sans explication claire », ils n’ont pas supporté le retard causé par les opérateurs Orange Cameroun et MTN Cameroon dans le versement de leurs acomptes. Car les avances de salaire sont payées via transfert d’argent par les deux opérateurs de téléphonie mobile. « Ils (les coupeurs) avaient fait venir leurs proches pour la fête du coq. Et ces gens devaient rentrer, mais le salaire tardait. C’est ce qui les a énervés. Ajouté à cela des frustrations qu’ils traînaient depuis. Cela s’est transformé en émeutes », explique une autochtone de Mbandjock.
La direction reconnaît un retard accusé par l’un des opérateurs. Cependant, au moment où les paiements, qui avaient connu un retard de 24 heures, ont été effectués, la colère des coupeurs de canne n’était plus contrôlable. « Malgré la résolution concrète du problème, les tensions naissantes d’une catégorie de travailleurs ont perduré. Du 26 au 29 janvier 2025, les sites de la Sosucam ont été bloqués par des groupes de manifestants incluant des individus étrangers à l’entreprise, paralysant progressivement l’ensemble de l’activité », a expliqué le DGA.
Résultat de cette explosion de colère, Gaston Djora, ouvrier coupeur de canne, a été tué au cours des émeutes. Des équipements de la Sosucam ont été endommagés, et près de 1 000 hectares de cultures de canne ont été brûlés. La direction chiffre à cinq milliards FCFA les pertes enregistrées en deux semaines de troubles.
Ludovic Amara
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