La mise en œuvre de la loi de 2013 portant incitations à l’investissement privé en République du Cameroun n’est pas du goût du Fonds monétaire international (FMI). Dans un communiqué publié le 30 janvier 2025 annonçant la conclusion d’un accord entre ses services et l’État du Cameroun, autour de la dernière revue du programme économique et financier en cours, cette institution de Bretton Woods souhaite une révision de cette loi. Qui accorde aux porteurs de projets d’investissements, des exonérations fiscales et douanières sur des périodes allant de 5 à 10 ans.
« Des retards ont été enregistrés dans la mise en œuvre du programme de réformes structurelles. Pour atteindre les objectifs ambitieux de la Stratégie nationale de développement (SND30), les autorités sont encouragées à redoubler d’efforts pour achever les mesures importantes prévues dans le programme, relatives à la gouvernance dans le secteur des industries extractives, au climat des affaires, à la réforme des entreprises publiques et à la gestion des finances publiques. Plus précisément, la mission a encouragé les autorités à faire avancer les travaux en suspens de longue date sur le plan de restructuration de la Sonara (Société nationale de raffinage), et à réviser la loi de 2013 afin de rationaliser les incitations à l’investissement », souligne le FMI dans le communiqué sus-mentionné.
En d’autres termes, aux yeux du FMI, telle qu’elle est mise en œuvre depuis 2014, la loi d’avril 2013 portant incitations à l’investissement privé au Cameroun, déjà révisée pour une première fois en 2017, ne semble pas très efficace. Surtout dans un contexte où les autorités publiques ont pour leitmotiv l’accroissement de la collecte des recettes fiscales et douanières (et même non fiscales), afin de pouvoir satisfaire des besoins sans cesse croissants.
Le FMI et le patronat en chœur
L’on peut remarquer que cette institution de Bretton Woods n’est pas seule à avoir des récriminations contre la mise en œuvre de la loi d’avril 2013 au Cameroun. « Les incitations aux investissements en République du Cameroun doivent être entièrement repensées. Depuis la promulgation de la loi en avril 2013, le Cameroun a adopté de nouvelles politiques publiques et réformes ayant des incidences sur l’investissement. L’ensemble de ces éléments a rendu caduques plusieurs dispositions du cadre réglementaire sur les incitations à l’investissement, qui se trouvent en déphasage avec ces nouvelles orientations gouvernementales », a déclaré le président du Groupement des entreprises du Cameroun (Gecam), le 18 septembre 2024 à Douala. C’était à l’occasion de la « rentrée économique du patronat » camerounais.
Dans le détail, Célestin Tawamba dénonce, par exemple, la longueur et le caractère injustifié des phases d’installation (de 5 à 7 ans) et d’exploitation des entreprises (jusqu’à 10 ans), pendant lesquelles les exonérations fiscalo-douanières accordées dans le cadre de cette loi sont valables. « Elles permettent à certaines entreprises d’utiliser ces avantages à d’autres fins que l’investissement réel annoncé, ou de continuer d’utiliser les avantages de la phase d’installation pour un projet déjà en phase d’exploitation », croit-il savoir.
Par ailleurs, le président du Gecam s’insurge contre la confusion dans la compréhension des critères d’éligibilité, qui « laisse place à l’arbitraire et ne garantit pas l’équité dans le traitement des dossiers ». Il y a aussi, poursuit-il, la non-prise en compte des spécificités des zones enclavées, afin d’encourager le développement équilibré des différentes régions, en droite ligne avec l’esprit de la décentralisation. De plus, ajoute Célestin Tawamba, certaines mesures sont inadaptées aux objectifs recherchés par la loi, ce qui « fait perdre des recettes importantes à l’État et augmente la pression fiscale sur les entreprises existantes, qui doivent combler le déficit ainsi créé ».
Plus de 113 milliards de cadeaux fiscaux en 2023
Au regard de toutes ces tares, affirme le président du Gecam, « une refonte de la loi sur les incitations aux investissements est indispensable pour garantir une mise en cohérence d’ensemble, afin d’avoir un impact plus significatif ». Ce d’autant plus que, soutient-on au Gecam, pour une proportion de 198 milliards de FCFA d’incitations fiscales et douanières accordées, la richesse créée se situerait autour de 41 milliards de FCFA seulement, soit 0,0018 % du PIB.
Selon le rapport du ministère des Finances sur les dépenses fiscales au Cameroun en 2023, l’État s’est privé de recettes d’impôts et taxes d’un montant de 113,5 milliards de FCFA en 2023, pour encourager la mise en œuvre de projets d’investissement portés par des privés. Cette enveloppe, qui représente 25,2 % des dépenses fiscales consenties par le gouvernement en 2023, équivaut également à 3,1 % des recettes fiscales et douanières collectées dans le pays sur l’ensemble de l’année 2023.
Pour rappel, lors d’une intervention le 23 février 2023, à l’occasion de l’Africa CEO Forum dédié aux opportunités d’investissement au Cameroun, la DG de l’Agence de promotion des investissements (API), la regrettée Marthe Angeline Mindja, a révélé qu’à ce jour, l’API avait déjà permis la signature de 302 conventions avec les entreprises du secteur privé, pour un total de 5 474 milliards de FCFA d’investissements prévisionnels et 110 000 emplois directs projetés. « En ce qui concerne les statistiques réelles obtenues après une évaluation d’un échantillon de 100 entreprises agréées relevant du portefeuille de l’API, et couvrant la période de mise en œuvre de leurs projets entre 2014 et 2019, il ressort un volume d’investissements réalisés de 987 milliards de FCFA, et un nombre de 12 050 emplois directs créés », avait-elle précisé.
Brice R. Mbodiam
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