
Moribond jusqu’à pratiquement l’année 2021, le marché secondaire des titres publics mis en place par la Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC), l’institut d’émission des pays de la Cemac (Cameroun, Congo, Gabon, Guinée équatoriale, Tchad et RCA), est de plus en plus dynamique. Selon les données officielles, ce dynamisme coïncide avec l’appropriation de la pension livrée par les banques agréées comme spécialistes en valeurs du Trésor (SVT) sur ce marché, et qui sont détentrices des valeurs émises par les États sur le marché primaire.
Par définition, la pension livrée est une technique de financement interbancaire caractérisée par un échange de titres négociables contre de la trésorerie, pour une période déterminée. Cette transaction exige la signature d’une convention-cadre entre les parties. La convention permet au prêteur de se voir automatiquement transférer la propriété des titres mis en garantie par l’emprunteur, une fois la date du remboursement de la créance échue. « On n’a même pas besoin d’aller devant un tribunal pour obtenir ce transfert de propriété », fait remarquer un habitué de ce type d’opération.
En dépit des garanties de bonne fin des transactions qu’offre ce mécanisme de financement, il ne faisait pas beaucoup courir les banquiers depuis l’approbation par le Comité de politique monétaire (CPM) de la BEAC, le 18 décembre 2014 à Douala, du « dispositif juridique et réglementaire régissant la pension livrée ». Mais, ces dernières années, la pension livrée est devenue la reine des transactions sur le marché secondaire des titres publics. Loin devant les opérations d’achats-ventes des titres et les transferts franco des titres, c’est-à-dire sans contrepartie en espèces entre les investisseurs.
Dans le détail, selon le rapport de politique monétaire que vient de publier la banque centrale, les transactions via la pension livrée sur le marché secondaire des titres publics de la BEAC totalisent 9121 milliards de FCFA (4 696,5 milliards pour les opérations d’achats-ventes et 7660 milliards pour les transferts franco) en 2024, contre 5263,4 milliards de FCFA en 2023. En 2021, le montant de ces opérations culmine à seulement 833,7 milliards de FCFA. Ce qui signifie que sur une période de quatre ans, la valeur des transactions via la pension livrée sur le marché secondaire des titres de la BEAC a été multiplié par plus de dix.
Le diktat des banques-SVT
La ruée des banques vers la pension livrée est d’autant plus compréhensible que ce mode de financement leur permet de respecter l’obligation réglementaire qui leur est faite d’animer le marché secondaire des valeurs du Trésor, en y cédant annuellement au moins 30% des titres publics acquis sur le marché primaire. Mais, en même temps, le recours systématique à la pension livrée par de nombreuses banques opérant sur le marché des titres comme SVT entretient le diktat des banques sur le marché. Au détriment des personnes physiques et autres investisseurs non bancaires pouvant pourtant contribuer à dynamiser davantage le marché secondaire des titres publics.
En effet, en préférant se céder les titres entre eux, au détriment des investisseurs institutionnels et personnes physiques, les SVT dopent certes les transactions, mais ils bloquent en même temps le jeu en caporalisant le marché secondaire. En conséquence, au 31 décembre 2024, ces acteurs du marché détenaient à eux seuls 62,2% des valeurs du Trésor en circulation dans la zone Cemac, contre 19,4% pour les investisseurs institutionnels (sociétés d’assurance, fonds de pensions, etc.) et respectivement 13,1% et 3,1% pour les établissements de crédit non SVT et les personnes physiques.
« Cette situation s’explique notamment par l’appropriation et le respect du principe de ségrégation des avoirs par les SVT et les banques n’ayant pas ce statut, qui enregistrent les titres acquis pour le compte des investisseurs dans les comptes dédiés à ces derniers ; les niveaux des taux d’intérêt et de rendement des titres, qui sont jugés encore faibles par certains investisseurs institutionnels, ce qui limitent leur incitation à souscrire notamment aux BTA ; la faible culture financière des agents économiques (investisseurs institutionnels et particuliers), qui demeurent très peu imprégnés des opportunités de placements offerts sur le marché des valeurs du Trésor », explique la banque centrale.
Brice R. Mbodiam
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